Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
sciences humaines
Des papas lésés ?
Article mis en ligne le 23 mai 2013
dernière modification le 18 mai 2013

Après une séparation, la justice évince-t-elle systématiquement les pères de la garde d’enfant ? C’est ce que dénoncent des mouvements de pères en colère. La réalité est tout autre.

Le week-end du 16-17 février 2013, toutes les caméras de télévisions de France et de Navarre étaient braquées sur un seul homme. À Nantes, Serge Charney, divorcé, passe trois nuits en haut d’une grue pour réclamer un droit de visite et un droit de garde pour son fils. D’autres actions spectaculaires menées en parallèle semblent alors faire découvrir à la France l’existence d’un mouvement de pères divorcés en colère, dénonçant une justice qui les éloignerait arbitrairement de leurs enfants.

La tyrannie des « vulvocrates » ?

Pourtant, rappelle la politiste Anne Verjus, ces associations, très développées au Canada, existent depuis les années 1970 en France. Parfois qualifiées de « masculinistes », elles ont connu un regain dans les années 1990, avec notamment la création de la plus visible d’entre elles, SOS Papa, en 1991. Cette association recrute, selon l’analyse de la sociologue Aurélie Fillod-Chabaud, des pères issus de milieux plutôt urbains et aisés qui, après une expérience « traumatique » de la justice, viennent y chercher non seulement des conseils mais également « un discours sur la justice familiale qui se voudrait critique et analytique (1) ».

De fait, SOS Papa développe un discours assez élaboré. Les combats ont évolué (d’abord partage de l’autorité parentale en cas de séparation, puis défense de la médiation familiale et de la résidence alternée), mais ils restent inscrits dans critique plus globale d’une société qui serait désormais acquise aux femmes. Défendant l’égalité entre femmes et hommes, mais sur un plan strictement professionnel, SOS Papa critique le « faux féminisme » qui, en donnant aux femmes le pouvoir dans la sphère domestique, les a transformées en « mères toutes-puissantes ». Un féminisme « dévoyé », qui a « fragilisé les hommes » et « rabaissé les pères à leur seule fonction génitrice (des pères “jetables”) ou à leur fonction financière de pourvoyeurs de pensions alimentaires (2) ». Défendant (en s’appuyant notamment sur des travaux de psychologues) une complémentarité des rôles maternel et paternel tous deux nécessaires au bon développement de l’enfant, les publications de l’association dénoncent ainsi à longueur de page « le génocide perfide et silencieux des pères », la tyrannie des « vulvocrates » qui se font faire des « enfants sur catalogue » ainsi que « les mauvais coups de la justice matriarcale ». (...)

Si donc les magistrats attribuent dans une écrasante majorité des cas la responsabilité principale de l’enfant à la mère, c’est tout simplement « parce que les justiciables eux-mêmes vont dans ce sens ». Les sociologues mentionnent le fait que de nombreux pères « affirment ouvertement qu’ils ne souhaitent pas ou ne peuvent pas s’occuper seuls de leurs enfants » : soit ils n’en ont jamais eu l’expérience, soit leurs horaires professionnels les en empêchent. À l’inverse, les mères font généralement valoir le fait que c’étaient elles qui étaient en charge du quotidien de l’enfant, qu’elles ont pour cela adapté leurs horaires, ce qui « rend difficilement admissible le fait de s’en détacher (6) ».

Un constat qui fait ressortir les sérieuses limites de l’égalité revendiquée par les associations pour le droit des pères. Comme le rappellent A. Verjus et Marie Vogel, celle-ci est d’abord limitée à l’après-divorce : « SOS Papa ne se mobilise pas pour revendiquer ou promouvoir plus largement l’égalité ou sa présence réelle dans le couple uni. » Les revendications de SOS Papa restent ensuite cantonnées à la sphère privée : « Les associations de père ne se battent ni pour la reconnaissance de la paternité active dans le cadre de l’entreprise, ni pour sa promotion dans l’espace public ou dans l’éducation des enfants. » Enfin, coparentalité et résidence alternée ne sont jamais considérées comme des impératifs : ils restent pour les pères « une affaire de choix personnel et d’opportunité (7) ». Les seules obligations reconnues concernent la contribution économique (versement d’une pension) et l’autorité (participation aux choix décisifs concernant l’enfant), dessinant là encore une conception traditionnelle des rôles parentaux.
(...)

on sait combien l’entretien des enfants au quotidien et la prise de congés parentaux incombent encore largement aux mères. Peut-être donc, avant de grimper aux grues, ces papas feraient-ils mieux de donner un petit coup de main à la maison ?