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Entre les lignes, entre les mots
Des meurtriers parmi nous
Gideon Levy
Article mis en ligne le 4 août 2019

Des tueurs vivent parmi nous. Personne ne les traque, personne n’enquête sur eux, ils ne sont pas recherchés et ils n’ont jamais honte.

Ils ont tiré sur d’autres êtres humains avec de sinistres intentions, les ont tués et sont considérés comme innocents de tout acte répréhensible. Ils continuent leurs activités quotidiennes, avec leur famille, leurs amis, leur carrière et leur argent. Ils n’ont rien à cacher, ni personne face à qui se cacher, parce que personne ne s’en prend à eux. Ils n’ont pas à avoir honte, car ils ont fait leur devoir et ils en sont même fiers.

Chez eux, ils sont sûrement considérés comme des héros qui ont défendu leur pays. En Israël, on les considère même comme des gens qui ont des valeurs, parce qu’ils sont des combattants. Ils se tiennent derrière vous lorsque l’on doit attendre en ligne et ils vous côtoient dans la circulation, sont assis à vos côtés dans les restaurants, dans les avions et au théâtre. Du sang d’innocents est sur leurs mains. Les assassins invisibles d’Israël sont partout.

Tel est le policier des frontières qui a tiré sur le jeune Abdallah Gheith, le 31 mai 2019. Un jeune ? En fait, un garçon, il avait 15 ans. Comme le dit son oncle Halaf : « Il n’a jamais vu la mer. » (...)

Après la parution, l’autre jour, de l’article de Haaretz sur l’assassinat du jeune homme, le porte-parole de la police des frontières a attiré mon attention sur quelques erreurs dans cet article. Comme il l’a dit, le jeune a été abattu alors qu’il escaladait la clôture, et non pendant qu’il était au sol, et les agents de la police des frontières lui ont tiré dessus lors d’une embuscade sans courir vers lui.

Le tableau est donc maintenant complet, au cas où il y aurait encore des doutes. Le garçon a été liquidé : il a été assassiné. On pourrait aussi dire qu’il a été exécuté.

Un garçon, désarmé – regardez les photos de lui, le regard innocent – qui grimpe une clôture pour réaliser un rêve et prier sur un lieu saint un jour saint. La police des frontières lui a tiré dessus avec une arme mortelle, un fusil de marque Ruger, que l’avocat général militaire considère comme un acte de tir effectif. Ils l’ont fait alors qu’ils étaient allongés en embuscade au moment où les jeunes grimpaient une clôture. Une seule personne était en danger dans cette scène : le garçon.

Quelques heures plus tôt, la police des frontières a tiré sur un jeune homme qui tentait de franchir la même clôture, et il a été grièvement blessé. C’est leur expression. Ils n’en connaissent pas d’autre : tirer sur des jeunes désarmés qui ne mettent en danger personne, dont le seul désir est d’atteindre un endroit qu’ils ont un droit inaliénable de voir et que les règles de la justice naturelle devraient leur laisser faire. (...)

Ces gardes-frontières sont considérés comme des « combattants », mais ce sont les plus lâches des soldats ou des policiers. Comme c’est misérable et lâche de tirer sur un garçon qui escalade une clôture. Comment ne peuvent-ils pas avoir honte de leurs actes, ces policiers des frontières ? Non pas, loin de moi cette pensée, d’un point de vue moral – n’exagérons pas nos attentes – mais d’un strict point de vue opérationnel.

Et c’est scandaleux que ce meurtre ne soit même pas considéré comme un accident. Pas d’enquête, pas d’arrestation, pas de procès. (...)

Le meurtrier de l’adolescent Gheith vit parmi nous. C’est une personne très dangereuse. Personne ne pense à l’arrêter. Bien sûr, il est loin d’être le seul parmi nous.