
On l’a oublié : Pierre Bourdieu a été haï. Aussi nombreuses, ténébreuses et haineuses que celles qui ont fleuri il y a peu sur Tariq Ramadan, les couvertures de magazines avaient fait de Bourdieu l’Ennemi Public n°1 à la fin des années 1990, à une époque où, en haut lieu, on redoutait même (ce n’est pas une blague) sa candidature aux élections présidentielles !
Plus profondément, on s’inquiétait de l’audience grandissante rencontrée par une oeuvre sociologique de première importance à une époque où son auteur s’engageait, de plus en plus ouvertement, contre un système social indéfendable. Pessimiste, déterministe, ringard, dogmatique, sectaire, autoritaire, ennemi de la démocratie : tout ou presque fut utilisé pour disqualifier tant sa production théorique que ses engagements politiques. On lui reprocha même, aux Inrockuptibles, d’être « un sosie de Pierre Bachelet en costume Tergal ». Dix ans, jour pour jour, après sa disparition, nous rendons hommage à un homme intègre, dont toutes les analyses ou prises de positions ne sont pas incriticables mais qui a eu l’insigne mérite d’ empêcher de dormir quelques-uns des pires maîtres-penseurs de l’époque. Le texte qui suit fut écrit peu de temps après sa mort, mais il reste plus que jamais d’actualité dix ans après, puisque ce sont exactement les mêmes infamies qui, aujourd’hui encore, prospèrent sur Bourdieu en milieu éditocratique. (...)