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le Parisien
Dérives alimentaires : « Ma sœur est décédée, elle s’est fait embarquer dans le sectarisme »
Article mis en ligne le 2 janvier 2022

Jeûner pendant 21 jours pour soigner une tumeur, parfois jusqu’à y perdre la vie. Nous avons recueilli les témoignages d’hommes et de femmes qui ont été abusés par des « gourous » de l’alimentation.

La dernière fois que Michel R. a vu sa sœur, c’était à Noël 2017. Carole voulait qu’il fasse un jeûne de vingt jours avec elle. Il a refusé. Ils se sont disputés. Puis il a eu de ses nouvelles le 12 mars 2018. Un coup de fil de l’hôpital de Lille. « Votre sœur est totalement déshydratée, il n’y a plus de signe vital au niveau de ses organes. On n’a plus d’espoir. »

Ce jour-là, à 23h57, Carole, 63 ans, souffrant d’hyperthyroïdie aiguë, est décédée après une semaine de jeûne, le deuxième, à l’Institut PranaHvital, centre de naturopathie dans la Somme. (...)

« On lui répétait que stresser ses organes la ferait guérir. Forcément, la promesse était belle », s’exclame Michel, en colère. Deux jours avant sa mort, son compagnon, la trouvant en très mauvais état, avait prévenu P., l’organisateur du stage. Ce n’est que le lendemain que ce pharmacien naturopathe l’emmène en voiture, mourante, à l’hôpital. (...)

Contrairement à ce que lui avait dit sa sœur, ce jeûne n’était pas encadré médicalement. (...)

Marie a jeûné pendant 21 jours

Son journal de bord a gardé la trace de son calvaire. 1er jour, palpitations, 8e jour, nuits agitées, griffonne Marie (NDLR : le prénom a été changé), à bout de forces. Pourtant, ce jeûne de 21 jours, c’est elle qui l’avait voulu en juillet 2017, au cœur de cette grande ferme de « l’Oasis de Lentiourel », 35 ha perdus dans l’Aveyron.

Un processus « pranique », c’est-à-dire fondé sur la croyance que l’on peut vivre de lumière, sans se nourrir. Une « dérive sectaire » selon la Miviludes qu’elle décrit comme extrêmement dangereuse. « Je ne savais pas ce que c’était mais un ami m’a proposé d’y aller », confie Marie, la cinquantaine, atteinte d’une tumeur de l’hypophyse, une glande du cerveau. « Je ne pensais pas guérir mais au moins stabiliser sa progression. » (...)

Sa première opération en 2014 a été d’une « douleur épouvantable ». Alors, quand les médecins évoquent une deuxième intervention, Marie cherche à tout prix une alternative. En bonne santé, elle avait déjà fait plusieurs jeûnes, une fois de 10 jours. Confiante, cette femme de 50 kg se lance, remplit un questionnaire détaillé, paye 600 euros. Et la voilà au milieu d’un groupe de 40 participants. Quelques chambres individuelles, un dortoir, un camping. Deux réunions de discussion par jour avec l’animateur, sinon rien, aucune activité, « ni cadre médical ». Très vite, Marie ne se sent pas à l’aise, décrit une « diabolisation de la nourriture, c’était dogmatique ».

« Beaucoup de souffrance et de soumission »

Au fil des jours, chacun perd ses forces. Et la salle de réunion s’éclaircit. « Quand je demandais où étaient les autres jeûneurs, on me rembarrait, personne ne s’en souciait. » Les malaises s’enchaînent. Marie, elle, n’arrive plus à poser le pied à terre sans étirer ses jambes raidies par les crampes. « Il y avait à la fois beaucoup de souffrance et de soumission ». A côté, Matthieu, un voisin qui vit alors dans une roulotte sur ce même lieu, assiste, effaré, à ce spectacle « de zombies qui marchent au ralenti, la bouche ouverte ».

Le 17e jour, Marie apprend lors de la réunion matinale que l’un des participants, « qui était cardiaque », présent avec sa femme lors du stage, est décédé dans l’ambulance l’emmenant à l’hôpital. « J’étais horrifiée. J’étais sûre que le stage allait s’arrêter. Mais non ! Rien ! L’animateur a juste dit qu’il avait quitté son corps et que c’était son choix. » (...)

Après ce choc, pourquoi Marie est-elle restée ? « Je voulais savoir si ma tumeur allait diminuer, c’était une réponse extrême à un cas extrême », estime-t-elle. Au bout de 21 jours, les trois quarts des participants ont cassé le jeûne ou abandonné. Marie, le corps décharné, ne pèse plus que 35 kg pour 1m62. De retour chez elle, elle boit un jus de pomme, sur les conseils de l’animateur, et fait un malaise. Elle deviendra ensuite boulimique pendant deux ans. « C’était terrible, j’avais toujours peur de manquer de nourriture. »

Aujourd’hui, sa tumeur continue de grossir. « Je reste persuadée que le jeûne est bon de temps en temps mais ce stage, c’était de la non-assistance à personne en danger. Il faut les dénoncer. Tous les jours, je pensais que j’allais mourir. » Selon le Parquet de Rodez, l’enquête de la gendarmerie sur le décès du participant a été classée sans suite, l’autopsie n’ayant pas conclu à une mort suspecte. Le même stage a eu lieu en juillet.

« Une armée de fanatiques me culpabilisait »

Dominique, devenue crudivoriste sous l’impulsion de Thierry Casasnovas
« C’est comme une secte » confie Dominique. LP/Franck Lodi (...)

Après 17 kg perdus en un an et demi, Dominique, sous-alimentée, stoppe tout. Avec du recul, elle réfléchit à porter plainte pour abus de faiblesse. Et regrette de s’être laissée convaincre. « Mais vous savez, quand vous êtes mal, vous n’êtes plus en état de choisir. »