Le « Rapport Meadows » a 50 ans. Sa réédition, publiée le 3 mars, reste critique : notre monde basé sur la croissance court à sa perte. L’effondrement est une réalité, précise dans cet entretien le chercheur émérite Dennis Meadows, coauteur du texte. Pour lui, « vivre avec moins » est primordial.
Il créa un grand retentissement dans le monde. Il est même souvent considéré comme l’un des monuments de l’écologie politique. Pourtant, les idées du novateur rapport de 1972 Les Limites à la croissance, plus connu sous le nom de « Rapport Meadows » [1], n’ont pas été reprises, ou que très peu, par les dirigeants. Il démontrait pour la première fois que l’économie ne pouvait continuer à croître indéfiniment dans un monde fini [2].
Depuis, les brillants chercheurs à l’origine de ce rapport l’ont plusieurs fois actualisé. Sa dernière version, Les Limites à la croissance (dans un monde fini) (éd. Rue de l’échiquier), paraît le 3 mars dans les librairies. (...)
Dennis Meadows :
Je me demande souvent si les empereurs romains pensaient qu’ils vivaient un effondrement. Notre empire occidental et néolibéral suit simplement le cycle de vie qui a prédominé au cours des dernières dizaines de milliers d’années. Je ne comprends pas vraiment pourquoi nous imaginons que notre société devrait vivre perpétuellement, et que nous devrions désespérément éviter de la perdre. Depuis que je suis à la retraite, je lis des ouvrages d’histoire sur l’ascension et la chute des civilisations. Les Phéniciens, les Aztèques, les Romains, les Mongoles... Lorsqu’on les étudie, on commence à aborder le déclin des autres de manière plus détendue. Le décès de votre chien bien-aimé peut vous rendre triste, mais vous n’avez jamais imaginé qu’il serait immortel. Le déclin de ma civilisation me rend triste, mais c’est dans l’ordre des choses.
À quoi pouvons-nous nous attendre ?
Ce déclin devrait avoir de nombreuses conséquences sociales et politiques. La croissance, la perspective que tout le monde aura davantage, constitue le fondement du consensus politique dans les démocraties occidentales. C’est moins le cas dans une dictature, où une grande partie des décisions est prise au sommet de l’État.
Lorsque l’on peut dire à un peuple « Si certains d’entre vous se sacrifient, nous pourrons tous avoir davantage plus tard », cela facilite le compromis. Mais si l’on dit, de manière réaliste, « Tout le monde va devoir se contenter de moins, et vous n’aurez plus jamais ce à quoi vous renoncez maintenant », cela engendre des problèmes politiques. Nos gouvernements vont devoir faire avec une population dont la majorité ne sera plus en accord avec ce qui sera proposé. On observe déjà cela aujourd’hui. (...)
Il suffit de regarder les démocraties occidentales. Ce n’est un secret pour personne que l’on assiste aujourd’hui à une envolée du populisme et des gouvernements autoritaires, y compris dans mon pays, les États-Unis. En politique, un seul facteur ne peut jamais tout expliquer. Mais les limites physiques ont déjà commencé à réduire la capacité à générer de la vraie richesse. (...)
La croissance du PIB se fait aujourd’hui dans le secteur financier, pas dans l’industrie manufacturière, et encore moins dans l’agriculture.
Comment limiter la casse ?
Nous devons faire en sorte que ce déclin se passe de manière paisible, équitable et graduelle. Si nous ne le faisons pas, cela revient à laisser la planète le faire pour nous, et cela promet d’être bien plus destructeur.
Je suis frappé par l’incapacité des gens à imaginer un monde avec moins. (...)
Jusqu’à présent, l’ensemble des institutions, des politiques, des économistes et des citoyens ont cherché à comprendre comment obtenir davantage. Il y a deux manières d’être heureux : avoir plus, ou vouloir moins. Nous devons déterminer comment vouloir moins. Cela pose tout un tas de problèmes techniques, en particulier en France, où le système de Sécurité sociale dépend de la productivité d’un grand nombre de personnes. Si nous commencions à comprendre ces choses, cela nous donnerait des options pour limiter la casse. (...)
Il est impossible de comprendre le débat sur les limites à la croissance sans réaliser à quel point celle-ci est bénéfique à court terme aux pouvoirs en place. Cela leur donne de la puissance politique et de la richesse financière. Lorsque quelqu’un propose une alternative, ils pensent donc instinctivement que cela leur fera perdre leur pouvoir et leur richesse. Et bien évidemment, ils y résistent. (...)
Et, bien sûr, il y a le problème des économistes, notamment aux États-Unis, qui ont construit toute leur carrière sur la notion de croissance infinie. Remettre cela en question reviendrait à dire que leur science est fausse, ou du moins bardée de défauts. Nos élites ont passé leur vie à concevoir la croissance comme la solution à tous les problèmes. (...)
Je trouve que le changement climatique est une métaphore parfaite de la difficulté à laquelle nous faisons face : même si de plus en plus de personnes sont conscientes de sa réalité, les émissions de gaz à effet de serre augmentent malgré tout. De la même manière, les gens commencent à comprendre que la croissance démographique est un souci, tout comme la pollution des océans, et pourtant nous ne faisons rien pour y mettre fin. (...)
Le vrai problème, c’est l’excès de croissance physique dans un monde fini. Des symptômes de stress commencent alors à apparaître. Le changement climatique en est un, l’érosion des sols et la pollution des océans en sont d’autres. Bien sûr, il est utile d’essayer de résoudre le changement climatique. Mais cela revient à donner une aspirine à un ami qui a des maux de tête, alors qu’il a un cancer. C’est utile, mais on ne peut imaginer que cela le guérisse. Même si nous pouvions magiquement arrêter le changement climatique, cela ne résoudrait pas le problème. Il y aurait toujours de la croissance, et les symptômes de stress se manifesteraient d’une autre manière. (...)
La résilience permet de continuer à vivre malgré les chocs et les surprises. Je me souviens d’avoir donné des conférences à Vienne au début des années 2000. J’expliquais à l’audience qu’au cours des vingt prochaines années, ils connaîtraient plus de changements sociaux, politiques et environnementaux qu’au cours du dernier siècle. Ils ne me croyaient pas. C’est le cas, et le rythme du changement va s’accélérer.
On peut être résilient aux échelles individuelle, communautaire et nationale, par exemple en construisant des pistes cyclables pour que les gens utilisent leur vélo, s’ils ne pouvaient plus utiliser leur voiture. Ce n’est pas le cas pour la durabilité : on ne peut pas adopter un mode de vie durable dans un monde non durable. On ne peut pas s’isoler du changement climatique grâce à nos actions individuelles, par exemple. (...)
Même si le travail de Greta Thunberg suscite de l’attention, ce sont les problèmes locaux, comme les sécheresses, le bruit, la déforestation ou les inondations qui incitent les gens à l’action. Je ne vois pas la possibilité de créer un mouvement écologique global.
A écouter : 1972, le rapport Meadows : premier cri d’alarme pour la planète (54’)
Sur le site de l’éditeur : Les Limites à la croissance (dans un monde fini)