
Mediapart propose sous la forme d’un livre numérique téléchargeable gratuitement les actes du colloque de défense des libertés académiques organisé par Éric Fassin et Caroline Ibos. Témoignant d’une alliance entre journalistes et intellectuels face à l’offensive réactionnaire contre le droit de savoir et la liberté de chercher, il sera présenté lors du débat d’ouverture de notre Festival, samedi 25 septembre.
Dans un passage trop ignoré de ses deux conférences de 1919 réunies sous le titre Le Savant et le Politique, Max Weber plaide pour une sociologie compréhensive du journalisme. Lui faisant écho à un siècle de distance, ce livre numérique à l’enseigne de La savante et le politique témoigne d’une alliance renouvelée entre intellectuels et journalistes, dans une mobilisation commune en défense du droit de savoir et de la liberté de dire, de la liberté de chercher et du droit de déranger.
Constatant que le journaliste, échappant « à toute classification sociale précise », « appartient à une sorte de caste de parias que la “société” juge toujours socialement d’après le comportement de ses représentants les plus indignes du point de vue de la moralité », Max Weber en déduisait, pour le déplorer, que « l’on colporte couramment les idées les plus saugrenues sur les journalistes et leur métier ». Dans une réminiscence de son projet inabouti de vaste enquête sur la presse, présenté aux « Journées de la sociologie allemande » en 1910, il poursuit : « La plupart des gens ignorent qu’une “œuvre” journalistique réellement bonne exige au moins autant d’“intelligence” que n’importe quelle autre œuvre d’intellectuels, et trop souvent l’on oublie qu’il s’agit d’une œuvre à produire sur-le-champ, sur commande, à laquelle il faut donner une efficacité immédiate dans des conditions de création qui sont totalement différentes de celles des autres intellectuels ».
Ce plaidoyer en défense de l’artisanat du métier n’empêchait pas la lucidité sur les corruptions de la profession, avec un constat sans âge qui peut aisément être réitéré et actualisé (...)
De tout temps, le journalisme est un champ de bataille où s’affrontent l’idéal et sa négation, où la vitalité d’une discipline au service du public et de l’intérêt général se heurte à la désolation de sa confiscation au service d’intérêts privés ou partisans, idéologues ou étatiques. (...)
Les adversaires que nous partageons, qui voudraient nous bâillonner ou nous exclure en nous attribuant un « séparatisme » antinational ou antirépublicain, sont en réalité les vrais séparatistes. Faisant sécession des causes communes de l’égalité, où s’épanouit l’absence de distinction de naissance, d’origine, de condition, de croyance, d’apparence, de sexe, de genre, ils entendent naturaliser les hiérarchies qui légitiment l’inégalité de classe, de race ou de sexe, ouvrant ainsi grand la porte aux idéologies xénophobes, racistes, antisémites, ségrégationnistes, suprémacistes, sexistes, homophobes, négrophobes, islamophobes, etc., qui désormais ont droit de cité dans le débat public (...)
Pour entraver ce désastre, nous n’avons pas d’autre arme que notre liberté, et la responsabilité qui nous incombe de la défendre. Liberté de penser, d’informer, de chercher, de dire, de révéler, d’aller contre ou ailleurs, d’emprunter des chemins de traverse, de réfléchir en marge ou en dehors, de créer sans dogme, d’imaginer sans orthodoxie. Si la chasse aux dissidences et aux mal-pensances est le propre des pouvoirs autoritaires, elle est aussi l’aveu de leur faiblesse intrinsèque et de leur fin inévitable, quels que soient les ravages momentanés et désastres immédiats de leurs répressions.
La richesse, la vitalité et la force des contributions de ce livre numérique ne témoignent pas seulement d’une résistance au présent. Elles proclament ce futur de l’émancipation qui germe sur les ruines d’un ordre agonisant.