
Voilà plus de deux mois que fut perpétré l’attentat au sein de la rédaction de Charlie Hebdo, mais l’obscurantisme des fanatiques religieux et les attaques contre la libre expression continuent de faire l’actualité partout dans le monde. À l’occasion du Salon du livre de Paris, plusieurs défenseurs de la liberté de la création et de l’information sont venus débattre autour de cette question brûlante, mais aussi du droit d’auteur, « né comme l’un des Droits de l’Homme », tel que le défend Teresa Cremisi, directrice générale pour Flammarion et Madrigall.
Au Printemps arabe semble succéder la saison aride de Daesh. La caricaturiste et activiste tunisienne Nadia Khiari s’est exprimée quant à la situation en son pays récemment frappé par l’attentat du musée du Bardo, où la révolution est toujours en cours, menacée par les tentatives de récupération politique. Les Tunisiens restent vigilants pour sonner l’alarme « Comme on dit, la révolution c’est bon, mais c’est long. On savait que ça ne se ferait pas en un jour, que ça prendrait du temps », explique-t-elle.
Récupération politique et autocensure
La Tunisienne ne dessine pas expressément pour le combat, mais avant tout pour le besoin de partager ce qu’elle ressent. « Certains sont d’accord, d’autres non, j’essaie de pointer du doigt les dysfonctionnements, la manière dont on veut nous instrumentaliser, nous faire penser tous pareil. S’il y a un impact, c’est très bien, mais quand je dessine je ne pense pas à tout ça. D’autres dessins sont créés spécialement pour des événements, des manifs, là on est plus dans l’activisme politique. »
Elle-même est née l’année où la constitution tunisienne fut changée afin que Habib Bourguiba puisse rester président à vie, en conséquence de quoi elle s’y « connaît un peu en dictatures », et n’a « pas envie d’y retomber ». Elle pointe : « Ben Ali avait tellement bien fait son travail qu’il n’y avait plus besoin de censure, on s’est autocensurés. Il avait gagné, n’avait plus besoin de se casser la tête, car on avait peur, et l’autocensure, c’est pire que la censure. Mais c’est eux qui devraient avoir peur, pas nous. »
L’écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud, frappé de fatwa, estime que les métiers de l’information restent pris « entre deux maux » en son pays : d’un côté le régime, qu’il s’agisse des dictatures ou des oligarchies, qui contrôlent la presse, font pression, et de l’autre les islamistes qui veulent s’occuper de morale. « En Algérie ça devient de plus en plus difficile de travailler dans la presse. C’est une culture, une liberté, pas seulement moi qui suis en danger », confiait l’auteur de Meursault, contre-enquête.
Il ne veut pas laisser la fatwa changer sa vie. Lui aussi constate ce phénomène de « confiscation de la révolution » par ceux qu’il nomme les « islamistes opportunistes », qui ne sont « jamais en première ligne et laissent les autres se sacrifier ». Il est convaincu qu’il faut chasser les dictateurs du pouvoir, mais aussi créer des écoles modernes, laïques et mener de vraies réformes, donner de la visibilité aux vrais leaders démocratiques. « Ce qu’il faut c’est de l’audace, tenir tête aux fanatiques. »
Face aux destructions du patrimoine culturel mondial par l’État islamique, Kamel Daoud pointe ce qu’il perçoit comme « un autodafé inversé : on brûle le monde au nom d’un livre », le Coran.
« La censure on fait ça très bien en France »
Pour le dessinateur Plantu, qui a impulsé l’initiative Cartooning for Peace, « le dessin est une manière de dire les choses, quand on ne peut pas avec la parole, le dessin le dit mieux ». Il rappelle aux éditeurs qu’on n’a pas besoin d’aller en Iran ou en Chine pour être confronté à la censure. Son livre intitulé Caricaturistes, publié par Actes Sud, s’était fait mettre au pilon l’an dernier par Bayard, 8000 exemplaires détruits au moment où il allait paraître. « La censure on fait ça très bien en France », en conclut-il. (...)