
Quelques jours après une action démontrant la vulnérabilité de l’usine de la Hague, un rapport d’experts indépendants commandé par Greenpeace France met en lumière la quantité colossale de déchets nucléaires produite dans le monde et l’absence totale de solution fiable et sûre pour les gérer.
Shaun Burnie, chargé de campagne de Greenpeace Allemagne, coordinateur de cette publication, revient sur les principaux défis que pose le lourd héritage des déchets radioactifs.
Sommes-nous réellement face à une « crise mondiale des déchets nucléaires », titre du rapport que vous avez coordonné ?
Shaun Burnie : Nous sommes effectivement face à une crise mondiale des déchets nucléaires qui touche l’ensemble de l’industrie nucléaire, mais qui est en grande partie dissimulée au public. Chaque pays qui a exploité ou continue d’exploiter des réacteurs nucléaires et des installations associées à cette énergie (extraction, traitement, enrichissement et retraitement de l’uranium) a un « héritage » de déchets nucléaires. Et aucun n’a trouvé de solution viable pour les gérer. Ce problème ne disparaîtra pas de sitôt, avec des matières radioactives qui resteront dangereuses pendant des dizaines, des centaines, voire des centaines de milliers d’années.
Les dangers sont multiples et dépendent du type de déchets. Par exemple, les millions de tonnes de déchets issus de l’extraction d’uranium resteront radioactifs pendant un million d’années, exposant les communautés en première ligne et l’environnement dans lequel ces déchets sont rejetés.
Autre déchet nucléaire qui constitue l’une des menaces les plus importantes : le combustible usé, hautement radioactif, qui est sorti des réacteurs nucléaires après utilisation. Au moins 12 000 tonnes de ce combustible irradié sont produites chaque année dans le monde. Il continue de s’accumuler sur les sites des réacteurs nucléaires dans des piscines d’entreposage, en France et dans tous les pays où des réacteurs sont encore en exploitation. (...)
Les experts que nous avons mandatés ont travaillé indépendamment les uns des autres, mais ont identifié des problèmes communs qui rendent les projets de stockage géologique (comme celui de Cigéo à Bure) douteux du point de vue environnemental, de la sûreté nucléaire, de la santé humaine et de la société. Les dangers communs de ces projets, aussi bien durant la phase opérationnelle (c’est-à-dire pendant les cent premières années au cours desquelles les infrastructures souterraines sont construites et remplies avec les déchets nucléaires), qu’à très long terme, sont les suivants :
risques d’incendie, y compris explosion, défaillance des conteneurs et rejet de gaz radioactifs dans l’environnement ;
risques d’inondation qui auraient un impact sur les conteneurs et pourraient provoquer une contamination de l’environnement ;
défis techniques concernant la robustesse et la résistance à la corrosion des conteneurs de stockage ;
coûts inconnus et croissants qui constitueront un fardeau pour les générations futures ;
concept de réversibilité (qui permettrait de sortir les déchets si une option moins mauvaise était trouvée) fondamentalement défectueux, au-delà de quelques générations ;
compte tenu des délais durant lesquels les déchets nucléaires restent une menace, la question de l’instabilité sociale au cours des décennies et des siècles à venir reste sans réponse.
Si l’option de l’enfouissement profond des déchets nucléaires ne fonctionne pas, pourquoi tant d’États la soutiennent-ils encore ?
S.B. : Cela reflète des décennies d’investissement institutionnel, scientifique, industriel et politique pour présenter au public une « solution » aux déchets nucléaires. Les options alternatives qui ont été étudiées, proposées et, dans le cas de l’immersion en mer, mises en œuvre (jusqu’à l’interdiction en vertu de la Convention de Londres des Nations unies), se sont toutes révélées non viables ou inacceptables.
Admettre officiellement que les projets de stockage géologique ne sont pas la « solution » aux déchets nucléaires nuirait à une industrie nucléaire mondiale déjà sur le déclin. (...)