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De quoi Fukushima est-il le nom ?
Chikako Mori est sociologue, maîtresse de conférences à l’université Hitotsubashi (Tokyo).
Article mis en ligne le 13 mars 2012
dernière modification le 11 mars 2012

(...) Le texte qui suit revient sur cet événement, et sur les enjeux de sa nomination : "11 mars" au Japon, "Fukushima" partout ailleurs...

Si le débat sur le nucléaire n’occupe qu’une place modeste dans la campagne présidentielle, presque plus personne, en France et dans le monde, n’ignore le nom de Fukushima : très peu connu jusqu’à l’accident du 11 mars 2011, le nom de cette préfecture située sur la côte nord-est du Japon trouve aujourd’hui un écho planétaire. Des organes de presse ont même créé pour l’occasion une rubrique "Fukushima". Tout comme Tchernobyl, et davantage que Three Mile Island, ce nom est désormais un synonyme de catastrophe nucléaire.

Force est de constater, pourtant, que l’ensemble des Japonais (médias, intellectuels, hommes politiques et les sinistrés eux-mêmes) désigne cet événement non par ce nom de lieu, mais par sa date : le 11 mars. (...)

S’il est préférable de nommer cet événement le "11 mars", c’est d’abord que le nom de Fukushima se révèle trompeur. D’une part, la préfecture (d’une superficie de 13 782 km2) est très inégalement touchée par le rayonnement nucléaire : la région côtière est gravement contaminée tandis que, dans l’arrière-pays, les dégâts nucléaires, sans être inexistants, sont d’un niveau comparable à celui de l’agglomération de Tokyo.

D’autre part, plusieurs régions qui n’appartiennent pas à cette préfecture (le sud de Miyagi ou le nord d’Ibaragi par exemple) sont également atteintes. La contamination ne se limite pas aux frontières administratives, elle ne se réduit donc pas au nom de Fukushima.

De surcroît, si on lui laisse porter tout le poids de cette catastrophe, ce nom risque de constituer un symbole d’horreur qui génère des discriminations. Déjà, des enfants réfugiés de Fukushima ont été rejetés à l’école par peur de la "contamination radioactive". Certaines mères tentent même de faire modifier le lieu de naissance de leurs enfants à l’état civil pour y effacer le nom de Fukushima. (...)

Enfin, invoquer "Fukushima" pour désigner la catastrophe empêche de prendre conscience que la vie de beaucoup d’autres Japonais a complètement changé depuis cette date. (...)

D’une certaine manière, le mal est déjà fait : "Fukushima" est aujourd’hui employé au détriment du "11 mars" pour nommer cet événement. Mais c’est précisément la raison pour laquelle nous devons faire attention à ce dont Fukushima est le nom : afin qu’il ne reste pas ce nom à consonance étrangère, qui a pour effet - et peut-être pour fonction - de particulariser le problème, et afin de ne pas considérer cette réalité comme un cataclysme étranger qui ne nous concernerait que de loin. (...)

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