
Il faut qu’une société soit gouvernée. Elle l’est quand se constitue au sein de la société un sous-groupe de ceux qui, ayant des intérêts communs et une même vision de la direction à prendre, ont la volonté de maintenir la cohésion du groupe et la force d’y faire prévaloir l’orientation qu’ils veulent donner à l’effort commun : une « majorité effective »
C’est ce sous-groupe dominant qui, tout en en tirant profit, assure à la société sa gouvernance, gérant, en les agençant plus ou moins efficacement, les complémentarités qui confèrent à celle-ci sa valeur, veillant à ce que des règles soient établies et respectées, à ce que des décisions soient prises et exécutées.
La majorité effective gouverne. Elle le fait de façon plus ou moins autoritaire, par un mélange ad hoc de menaces et de promesses, de punitions et de récompenses qui découle de son histoire et des circonstances ; un patron de gouvernement auquel elle habitue ses gouvernés. Qui décide de ce patron ? La nécessité. Un Alexandre, un César ou un Napoléon peut venir brouiller les cartes, bien sûr, mais à terme, ce qui va normalement s’imposer à la majorité effective et donc à la société, c’est le mode de gouvernance qui répond le mieux aux exigences de la situation. (...)
On veut voir ce que nous appelons notre « démocratie » comme une étape de cette marche vers le consensuel, mais est-ce bien vrai ? Penser consensus, ne serait-ce pas avant tout penser raison, car nos émotions nous mènent, les uns comme les autres, dans des voies diverses et ce n’est qu’en acceptant l’arbitrage de la raison que nous renonçons à régler nos différends par la force ? Or quand la démocratie privilégie la force par le nombre, c’est encore la force qu’elle privilégie… et force n’est pas raison.
La démocratie est une des formes de la gouvernance par la force. Ici, la force du nombre. La tyrannie de la majorité. Si d’un groupe de trois (3) deux votent la mort du troisième, c’est la démocratie. Immoral ? Absurde ? Nous discutons ailleurs de ce que, à défaut de le dire « nécessaire » en logique formelle, nous pourrions appeler une « impérieuse opportunité » de soumettre la démocratie à une éthique qui la transcende et en encadre l’exercice. Ici, restons-en au constat du double langage qui souffle le chaud et le froid sur la démocratie
C’est ce double langage que résume si bien la boutade archi-connue attribuée à Churchill : « La démocratie est la pire forme de gouvernement… sauf toutes les autres que l’on a essayées ! ». Clair. Personne ou presque, en son for intérieur , ne croit que la démocratie que nous avons soit une forme raisonnable de gouvernance, mais on veut que tout le monde ou presque la dise acceptable. Nous voulons être d’accord qu’elle est le moindre mal.
Le soutien à la démocratie repose sur un très large consensus qu’on a réussi à créer pour la thèse du moindre mal, en en faisant le credo de tous les medias et en ne tolérant aucune critique de cette tyrannie de la majorité. Aucune hérésie n’est permise. Ne pas encenser la démocratie est blasphématoire partout, sauf quelques cénacles de provocateurs marginaux.
La raison bien transparente pour laquelle on ne badine pas sur ce point, c’est que dans un monde d’interdépendance, de compétences réparties et de pouvoir diffus, les gouvernés ne le sont que s’ils acceptent de l’être et ne le sont efficacement que comme ils choisissent de l’être. (...)
« Gouverner », maintenant, c’est d’abord convaincre et séduire. Quiconque gouverne quoi que ce soit, qui que ce soit, où que ce soit, doit encore faire au départ le choix entre la force et la persuasion et en pratique se choisir un compromis entre les deux ; mais ce choix est devenu discret, quasi illusoire.
On peut toujours prétendre « gouverner » par la force, par ukases et diktats, mais la persuasion est tellement plus efficace que la coercition – et il est si clair qu’elle le deviendra de plus en plus – qu’annoncer formellement l’autoritarisme est exclu. Si on veut utiliser la force, on le fait, mais subrepticement. Le dire ne peut être qu’un bluff, un effet de manche ou une psychopathie, une gratification puérile et inane de l’égo avec des effets risqués qui peuvent être dévastateurs.
(...)
Mais tout ça ne change pas le fait que la démocratie repose sur des énoncés absurdes, suppose chez le citoyen moyen une vigilance de tous les instants pour apprivoiser ses dissonances cognitives, et un cynisme sans faille chez tous ceux qui en discutent ou y participent. La question fondamentale, comme le dit si bien Alice à Humpty Dumpty, « c’est de savoir si on peut donner aux mots tant de sens différents » … Or, la réponse est bien connue… et le Système la connaît
Aujourd’hui, le baratin saugrenu pour la démocratie passe encore,… mais tout juste. Il est dénoncé de partout, L’éducation et l’information ont transformé peu à peu les travailleurs ignares – bêtes-de-somme du XIXe siècle attachés à la noria du « produire à la chaine » par un fil à la patte – en quidams curieux, nourris à l’internet, tous différents comme de vraies personnes et posant des questions différentes auxquelles il faut donner des réponses sensées si on veut convaincre. Le marketing de la panacée « démocratie » est donc à revoir. Il va falloir être démocrate autrement.
Si on tarde trop, cette option disparaitra et nous n’aurons plus que le choix entre le fascisme et l’anarchie.