
Samedi dernier un rassemblement de soutien à la mobilisation colombienne se déroulait place de la Comédie : si vous étiez de sortie dans le centre à ce moment-là, difficile de passer à côté de cette faille spatio-temporelle qui a duré jusqu’à l’heure du couvre-feu – comme si l’air de la place montpelliéraine s’était transporté quelque part entre Cali et Popayán. Durant plusieurs heures nous avons assisté à une alternance entre prises de parole, minute de silence, danse, chants et slogans de soutien au mouvement social Colombien. Mais que se passe-t-il de l’autre côté de l’Atlantique ?
En France le silence médiatique sur la situation est assourdissant, tant dans la presse nationale que régionale : rien sur les chaines d’information en continu, un bref article portant à confusion dans le Midi Libre avec une photographie du rassemblement pris depuis les balcons de la rédaction du journal – comme aux grandes heures des gilets jaunes, un quotidien local plus que jamais fidèle à sa réputation de reporter de salon. Pourtant, la Colombie est en proie à un soulèvement populaire d’ampleur depuis la fin du mois d’avril, face à la politique ultra-libérale du gouvernement d’Ivan Duque (1). Deux semaines que la contestation bat son plein, notamment dans la ville de Cali au sud-ouest du pays (véritable épicentre du mouvement). Deux semaines qu’une répression sanglante s’abat sur les manifestants, condamnée par l’ONU et par l’union européenne : un bilan d’au moins 47 morts est dressé par les ONG locales Temblores et Indepaz (2), bien plus lourd en réalité. Les témoignages qui nous parviennent de Colombie sont glaçants et font état de violations répétées des droits humains fondamentaux, avec des assassinats et disparitions d’opposants politiques, des détentions arbitraires ainsi que des cas de violences sexuelles. Face à cette situation dramatique, la diplomatie française reste muette. Seule une tribune publiée par une centaine d’élus français, principalement d’opposition, demande une réaction de la part du président de la République et du ministre des affaires étrangères, sans qu’elle soit suivie d’effets pour le moment (3). (...)
Car en France le ton martial contre les mouvements sociaux et les quartiers populaires est aussi de mise depuis le début du quinquennat Macron : l’actualité de ces dernières semaines n’y fait pas exception, entre tribunes militaires et surenchère policière permanente. Les plateaux télés sont pris d’assaut par des figures politiques allant de la droite à l’extrême-droite et autres syndicats policiers factieux, aux discours désinhibés. On appelle à « défendre la police », on exulte, on hurle, on brandit l’armée contre les quartiers pauvres : on veut y entrer, assiéger ces « zones de non-droits », quitte à tirer dans le tas (5). L’atmosphère est morbide, comme si chacun ne parvenait plus à mesurer le poids de ses mots. Dans l’indifférence générale, c’est pourtant ce qui se fait de l’autre côté du globe : on entre dans les quartiers et on tue. On tue des jeunes, on tue des filles, on tue des fils, des mères, des frères et des espoirs. (...)
En France, les médias et les figures politiques sont enclins à une indignation à géométrie variable dès que le sujet touche à la géopolitique, notamment celle de l’Amérique latine : les candidats ne manquent pas quand il s’agit d’accabler un pays comme le Venezuela ou tout pouvoir à connotation vaguement socialiste. Dès lors qu’un gouvernement ultra-libéral ou à la droite de la droite utilise les armes, de préférence achetées à la France ou aux États-Unis, face à sa population, silence radio. On croirait entendre résonner les vers écrits par Renaud il y a presque 40 ans : « Lorsqu’en septembre on assassine un peuple et une liberté / au cœur de l’Amérique latine, ils sont pas nombreux à gueuler ; Un ambassadeur se ramène, bras ouverts est accueilli / le fascisme c’est la gangrène de Santiago à Paris ». Un lointain écho dont il serait salutaire de se rappeler : ils étaient pourtant nombreux à « gueuler » quand le Chili sombrait dans la dictature en 1973. (...)
On accueillait des réfugiés, on lançait des manifestations, on montait des campagnes de dons et de soutien à la lutte. Un véritable mouvement de solidarité, fondamentalement internationaliste, prenait racine.
Aujourd’hui l’enjeu est d’une envergure semblable. Le réveil du peuple colombien, après celui des équatoriens et des chiliens, pour ne citer que ceux-là, pourrait être une source d’inspiration pour nos luttes à venir, tant la détermination des manifestants force l’admiration. (...)