Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
France Inter
David Dufresne, un journaliste inventeur, acharné de travail et obsédé par les libertés publiques
Article mis en ligne le 20 mai 2019

Qui est l’homme qui dénonce depuis six mois les violences policières sur les plateaux télé, vient de réaliser un film sur le Pigalle des années 80, après avoir écrit un livre sur la France au temps de Jacques Brel ? Portait.

Ex-rédacteur en chef à I-Télé, ancien journaliste de Libération, membre de l’équipe qui a fondé Médiapart, David Dufresne a opté depuis dix ans pour un journalisme de récit, des enquêtes racontées à sa manière, cherchant de nouvelles formes de narration, de diffusion et d’interaction que lui permettent l’internet et les outils numériques.

Cet homme aime le rock, s’acharne au travail comme on sature le son de sa guitare, pédale à fond, écrit, rit, et élève ses enfants. Il est assez poète, ou assez nostalgique, pour avoir conçu un kiosque à souvenirs et l’avoir installé en plein Pigalle. Au milieu des passants, le kiosque à délier les langues, fait remonter à la surface l’histoire d’un quartier populaire auquel il a arrimé sa jeunesse, et qui lui a probablement donner le goût de la liberté et du rock. C’est avec ce dispositif qu’il a fait jaillir la matière d’un documentaire récemment diffusé sur Arte. Dufresne, dur à la tâche, tendre du regard.

Sur le circuit des grands prix

David Dufresne se fait remarquer parce qu’il innove dans ses procédés narratifs. Le webdocumentaire Prison Valley, avec le photographe Philippe Brault, dévoilant le fonctionnement d’une ville-prison dans le Colorado, proposait aux internautes de débattre avec les protagonistes du reportage. Le dispositif a été couronné du premier prix interactif du World Press photo en 2011 et du prix Italia, entre autres nombreuses récompenses.

En France il obtient par deux fois le prix des Assises du journalisme. Une fois en 2012 pour son enquête sur l’affaire de Tarnac et le contre-terrorisme en France, _Tarnac, magasin général (_Calman Levy). Une deuxième fois en mars 2019, avec sa série de signalements de violences policières présumées lors des manifestations de "gilets jaunes "par le biais de son fil Twitter ’allo @Place Beauvau’.

Depuis 2010 ses documentaires sur le web, livres, reportages, ont été récompensés par une trentaine de prix et distinctions. (...)

"Ce ne sont ni les affaires de banditisme ni les meurtres qui m’intéressent. Ce sont les libertés publiques et individuelles qui me préoccupent", explique-t-il à France Inter. David Dufresne ne s’en cache pas, il faut chercher la source des ses interrogations dans les manifestations de 1986 contre la loi Devaquet : "En 1986 j’avais 18 ans, et la mort de Malik Oussekine est un élément déclencheur. Je ne l’ai jamais caché, j’ai été coursé par les voltigeurs, ça m’a marqué".

David Dufresne s’est donc engagé à étudier la question à fond, plutôt que de s’engager contre quelque chose. Tel un entomologiste, le voilà à l’étude du rapport police-population dans ses moindres détails, comme dans ses stratégies politiques. (...)

David Dufresne aime rappeler que "police" et "politique" ont la même racine étymologique, c’est la gestion des affaires de la cité. Ce qui l’anime c’est de décrypter le système qui relie les citoyens et son ordre.

C’est l’aspect systémique qui m’importe. La question que je pose est : une police peut-elle viser son peuple ?

"Les libertés publiques reculent depuis 20 ans, la gauche a abdiqué et l’anti-terrorisme est devenu un mode de gouvernement" constate-t-il.

Cette question traverse son parcours comme celle de la liberté d’expression, pour laquelle il s’est aussi fortement engagé. (...)

Aujourd’hui, c’est sur Twitter et Mastodon qu’il créé une agora pour questionner l’usage de la force contre des manifestants. À partir de quand, de quelle procédure, de quelle atteinte ou blessure considère-t-on que la liberté fondamentale de manifester et de s’exprimer est bafouée ? C’est la question sous-jacente au dispositif allo @Place Beauvau.

"Je me sens plutôt comme un lanceur d’alerte" (...)

Ces "signalements" sur allo @Place_Beauvau, il les assume pleinement, même s’ils agacent profondément la hiérarchie policière. En six mois les manifestations ont donné lieu à 24 yeux mutilés et cinq mains arrachées lors de tirs en provenance des forces de l’ordre.

"Ce qui m’étonne c’est de voir que les télés m’invitent pour expliquer mon travail, qui est en fait celui que leurs propres rédactions devraient faire. Ce fut pareil avec Florence Aubenas, quand elle est allée sur les ronds-points. On l’a interrogée elle plutôt que d’aller voir les ’gilets jaunes’".