
Soumis à un blocus israélien vieux de plus de dix ans, les millions de Palestiniens enfermés dans Gaza connaissent une situation dramatique qui ne soulève pourtant aucune indignation de la part de la « communauté internationale ». Et les mois à venir risquent d’être encore pires.
La matinée du 22 janvier 2018, les devantures des commerces de la bande de Gaza sont restées obstinément fermées, et dans l’après-midi les poings de centaines de ses habitants se sont levés avec colère en signe d’une ultime protestation contre la situation économique du territoire, à bout de souffle. Cette grève sera suivie trois jours après d’une nouvelle journée de mobilisation, faisant suite à la décision des États-Unis de geler 65 millions de dollars du budget annuel accordé à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa, United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East). Le 29 janvier, le scénario se répète, et c’est au tour du personnel des agences onusiennes présentes à Gaza de s’emparer des rues.
Si cette situation précaire n’est pas nouvelle, les soulèvements successifs marquent cependant un point de rupture pour l’enclave palestinienne qui, face à des conflits pléthoriques et une décennie de siège, menace de s’effondrer sous le poids d’une crise humanitaire sans précédent.
Autrefois clef de voûte de la politique palestinienne au nationalisme défiant, la bande de Gaza n’est plus que le point névralgique des querelles secouant la Palestine actuelle, scindée en deux entre le parti du Fatah de Mahmoud Abbas — à la tête de l’Autorité palestinienne (AP) — et le Hamas d’Ismaël Haniyeh, contrôlant Gaza depuis sa prise de pouvoir en 2007. À la polarisation constante des divisions viennent s’ajouter un blocus prolongé et des conflits successifs, menant à une impasse qui semble avoir atteint son acmé : une décennie après l’accession au pouvoir du Hamas, la situation est alarmante tant sur le plan économique que social. (...)
L’ÉLECTRICITÉ, ENJEU DE DISCORDE
Au cœur de ces jeux de pouvoir constants, certaines denrées vitales deviennent alors un moyen de pression, non sans favoriser l’aggravation de la situation humanitaire déjà catastrophique. C’est ainsi qu’en juin 2017, l’AP décide de réduire de 35 % le paiement de l’électricité de Gaza versé habituellement à Israël, lequel ampute immédiatement de 60 mégawatt (MW) le courant injecté dans la bande. Le résultat ne se fait pas attendre : les habitants feront face à un déficit allant jusqu’à 21 heures de coupure de courant quotidienne. Il faudra attendre un nouvel accord, signé le 12 octobre 2017 sous l’égide de l’Égypte, pour que l’électricité soit rétablie. Pour Mohamed Thabet, porte-parole de la compagnie de distribution d’électricité de Gaza, la situation reste cependant foncièrement préoccupante (...)
Le manque d’électricité est le point de départ d’une suite sans fin de conséquences socio-économiques. Les centrales d’épuration et de dessalinisation d’eau constamment à l’arrêt faute de courant précipitent Gaza dans un fossé où s’entremêlent problèmes environnementaux et sanitaires. (...)
Les structures de santé sont elles aussi dans une impasse critique puisque des milliers de vies dépendent d’équipements médicaux fonctionnant à l’électricité. Des solutions existent, dont les plus répandues sont les générateurs ou les batteries UPS, mais elles restent cependant insuffisantes et trop onéreuses. (...)
le Dr. Ayman Al-Sahbani, chef des urgences de l’hôpital, s’exprime sur la situation :
C’est vraiment délicat, certains départements nécessitent de l’électricité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, comme celui de la dialyse ou des soins néonataux intensifs, où plus de 150 nourrissons dépendent d’incubateurs pour être maintenus en vie. Nous sommes également obligés de repousser certaines opérations pour prioriser l’utilisation du fuel du générateur. De surcroît, les employés ne reçoivent pas leur salaire, et nous manquons de beaucoup de médicaments et d’équipement. (...)
Face à cette impasse protéiforme qui joue les prolongations, il est difficile de ne pas penser au rapport publié par les Nations unies en 20 12, Gaza in 2020 : a Liveable Place ?, qui alertait déjà du risque que Gaza devienne inhabitable d’ici 2020 si aucune mesure concrète n’était prise. (...)
Ce n’est qu’en replaçant Gaza au centre des enjeux politiques internationaux qu’il sera possible d’ouvrir un dialogue concret avec les autres acteurs du conflit, et ainsi entrevoir une sortie de crise pour le territoire.