
Pendant deux mois, je travaille en milieu carcéral avec une mission de promotion de la santé. Je livre ici mes remarques pour documenter ce que je vois. Ici, chacun est touchant à sa manière. J’admire la détermination de certain·es à ne pas se laisser faire. Se battre pour faire valoir ses droits, assurer seul sa défense, garder sa patience face aux délais flous et arbitraires. C’est bateau à dire, mais il faut un moral d’acier pour survivre à la prison.
Enfin entré dans deux des maisons d’arrêt, je prends mes marques en accompagnant l’équipe constituée de psys, d’infirmièr·e·s et d’éducs lors des entretiens individuels avec les personnes détenues.
Mon attention se fixe sur deux aspects :
L’architecture de la prison
La maison d’arrêt pour hommes est la première où je suis entré. Vue de l’extérieur, c’est un gros château fort posé dans un beau quartier. Tout y est, les tours à créneaux, les meurtrières, les vieilles briques blanches. La prison a été construite par le roi colonisateur Léopold II, probablement inspiré par le palais de justice bâti par son prédécesseur, il voulait montrer l’enrichissement de la nation et sa puissance en hérissant la capitale de monuments démesurés représentant son pouvoir.
Le bâtiment est disposé en forme d’étoile, comme un panoptique. Sur la petite plaque à côté de la porte d’entrée, on peut lire que le criminologue Edouard Ducpétiaux est à l’origine de cette architecture imposante.
Derrière la lourde porte d’entrée, le sas. A droite, l’accès des professionnel·le·s, à gauche, l’entrée des visites. (...)
Les personnes entre les murs
Je découvre les gens, la "population carcérale". J’ai l’impression de les avoir déjà croisés dans mes boulots précédents. Notre mission est d’accompagner les personnes sous traitement de substitutions aux opiacés. Comme nous sommes en maison d’arrêt, ils sont en attente de leur jugement. Dans ce qu’ils nous livrent, une constante, le doute et la galère. Difficulté à savoir où en est leur dossier, leur date de jugement, leur avocat, leur droit de visite, leur accès aux soins. Nous, on relaye, on explique, on se renseigne, on essaye de comprendre et traduire la logique carcérale qui parfois est absurde voir carrément maltraitante.
Dans le rapport humain, c’est ce que rapportent mes collègues, notre écoute attentive est parfois la seule chose qu’on peut apporter et c’est déjà ça. Jamais seuls physiquement mais tellement isolés. (...)
J’ai lu une bande dessinée faite par une détenue ; elle y explique comment elle se noie dans le chagrin à son arrivée, avant de se relever, essayer de recoller les morceaux, retomber, réessayer... Tout un processus lent et douloureux rendu plus contraignant encore par le contexte. Enfermé·e avec tes pensées noires et un·e total·e inconnu·e.
Aux côtés des détenus, on trouve les agents de surveillance. (...)