
Disons-le d’emblée, l’autarcie choisie, frileuse et repliée ne
peut proposer un horizon enviable pour aucun peuple.
Les pays qui se sont retrouvés dans cette situation ne l’ont
pas choisie. Elle leur a été imposée. Et les conséquences ont souvent
été douloureuses pour eux. Face à la mondialisation déferlante la
question n’est plus de la fuir, mais de savoir comment y faire face et s’en
protéger, voir d’en tirer avantage comme certains pays ont su le faire. Il y
a longtemps que nous sommes entrés dans un monde interdépendant
– certes où certains étaient plus dépendants que d’autres – dont il
serait vain de parier sur la fin, même lointaine. La planète s’est rétrécie.
Des problèmes communs de plus en plus nombreux sont apparus et
appellent, pour y faire face, à des coordinations de plus en plus étroites
dans le respect des souverainetés de chacun
C’est cette notion de souveraineté qui est au coeur de la mise en
relation avec d’autres. Personne n’ose la réfuter, car alors il faudrait dans
la foulée avancer ce que serait son contraire souhaitable. C’est de l’ordre
de l’indicible. Qui oserait dire qu’il est favorable à une soumission, une dépendance, une obéissance, une servilité ? On l’a compris tout le
monde se réclamera de la souveraineté, quitte à la décliner sous
différentes acceptions.
Dans la mondialisation, il est d’usage, face à ce qu’il est
convenu d’appeler la « contrainte extérieure » de se réclamer de la
souveraineté. Mais celle-ci sera déclamée tantôt comme populaire,
tantôt comme nationale. Comment s’y retrouver ?
La « populaire » sera souvent avancée par les forces progressistes
qui verront dans la « contrainte extérieure » alléguée le prétexte
de revenir sur des acquis sociaux présentés par les tenants d’un
libéralisme mondialisé comme des scories rendant inaptes à s’insérer
dans la concurrence internationale. Car pour les adeptes de cette
mondialisation, la « contrainte extérieure », ou les « signaux des
marchés » ne signifient rien d’autre qu’une contrainte interne qu’il
s’agit de casser pour rendre le pays apte à s’insérer dans le marché
mondial. Le prurit de la réforme – en réalité la casse des acquis
sociaux – les animera de façon fébrile.
La « nationale » sera revendiquée par des secteurs de l’économie
qui se sentiront fragilisés et menacés par la concurrence mondiale.
C’est l’expression d’un petit ou moyen patronat qui ne sent pas apte
à résister à cette concurrence qui vient de loin. Elle sera revendiquée
par des couches sociales souvent attirées par un vote à droite.
Il est des circonstances, assez exceptionnelles, où ces deux
approches de la souveraineté peuvent se rapprocher et bousculer
les clivages politiques établis. Ce fut le cas dans la Résistance où la
création du Conseil national de la résistance transcenda les deux
approches qui fusionnèrent à travers le terme de patriotisme. En 2005,
à l’occasion du referendum sur le Traité constitutionnel européen, le
Non de gauche et le Non de droite se mêlèrent dans l’urne, chacun
exprimant une acception de la souveraineté différente, pour les
uns des craintes sociales, économiques et monétaires, pour les
autres des préoccupations sociétales ou identitaires, mais tous deux
comprenant que la structure supranationale que représentait l’Union
européenne était devenue incompatible avec leur projet politique.
La construction européenne présente un cas particulier de
la mondialisation. C’est un espace continental où ses formes ont
été les plus accentuées et où les traités se sont empilés entrainant
chaque fois des délégations de souveraineté : Acte unique, Traité de
Maastricht, Pacte de stabilité, le tout repris et rassemblé dans le corset
du Traité de Lisbonne et complétés et aggravés par ceux découlant de la gestion de la monnaie unique allant jusqu’à faire obligation aux
parlement nationaux à faire viser par la Commission européenne les
projets de budgets de chaque pays. La construction européenne est
ainsi devenue le laboratoire de la mondialisation, sa forme la plus
avancée et ne peut être considérée comme potentiellement lui
être porteuse de résistance. Car elle en réunit tous les ingrédients :
marché unique, libre circulation des marchandises, des capitaux et
des travailleurs dans un espace où les écarts de salaires s’échelonnent
de 1 à 9 et où les normes sociales, fiscales et environnementales
sont différentes. Dans un tel espace ce qui s’échange ce ne sont pas
des marchandises mais les conditions contextuelles dans lesquelles
elles sont produites. Il est vain alors de parler de concurrence libre
et non faussée. Les dérives délétères de la mondialisation y ont été
multipliées rendant problématiques les conditions de l’exercice
de la souveraineté dans cet ensemble européen. On comprend
ainsi pourquoi prétendre construire l’Europe pour s’opposer à la
mondialisation relève de l’escroquerie.
On ajoutera que tous ces traités, empilés et gravés dans le
marbre puisqu’il faudrait un accord unanime pour les modifier,
n’ont pour principale fonction que de permettre aux bourgeoisies
conservatrices du continent de prendre une assurance tous risques
contre les aléas de la démocratie et du balancier politique en intimant
à tout « déviant » la nécessité de rentrer dans le « cercle de la raison ».
Jean-Claude Juncker a su résumer cette situation en annonçant au
Grecs en 2015 qu’« il ne peut y avoir de choix démocratique contre
les traités européens déjà ratifiés » et nous a ainsi annoncé la nature
du verrouillage mis en place. La question est alors de savoir si les
délégations de souveraineté consenties doivent servir de plafond de
verre contre la démocratie ou au contraire, si cette Union européenne
renforcée doit devenir permissive, voire accompagnatrice des
changements espérés par les pays-membres.
Bien sûr, il est vain de prétendre co-construire avec d’autres
sans imaginer devoir déléguer des moyens ou de la souveraineté.
Mais cela se fait avec l’objectif de renforcer l’échelon supérieur afin
qu’il protège mieux ou qu’il s’oppose à des forces extérieures jugées
délétères. Par exemple mettre tout en oeuvre pour faire face aux
grands acteurs de la mondialisation, comme les grands États, ou la
finance mondialisée, les firmes multinationales, les lobbies, etc. Mais
pas pour leur dérouler le tapis rouge faisant de l’Union européenne un
espace à dévaliser où l’on vient faire son marché. On pense à tout cequi pourrait être fait au service d’une politique industrielle maitrisée,
à la lutte contre les paradis fiscaux, contre l’impunité et l’arrogance
des GAFA ou le poids des lobbies qui foisonnent à Bruxelles.
Le piège se referme lorsque les délégations de souverainetés
se retournent contre l’échelon de départ, le pays-membre, et
deviennent constitutives de contraintes, notamment austéritaires
– au travers des « critères » de Maastricht – façonnées par des
instances communautaires non-élues. L’exemple des directives
européennes élaborées à Bruxelles et qui irriguent la production
législative des parlements nationaux doit faire réfléchir. Voilà des
textes qui sont élaborés sous l’influence de lobbies, c’est à dire dans
des conditions qui ne seraient pas autorisées en France, et qui vont
être adoptées en bloc et sans discussion par nos parlementaires.
C’est ainsi que l’« harmonisation » européenne avance masquée.
De telles délégations de souveraineté consenties dans de telles
conditions et sachant qu’elles vont se retourner contre les pays membres
en lui imposant ce qu’il n’a pas voulu à priori devraient
s’intituler abandons de souveraineté et consistent à se livrer pieds
et poings liés au bourgeoisies libérales-conservatrices qui dirigent
l’Union européenne.
Il faut évidemment se poser la question de la place du curseur
des délégations de souveraineté au sein de l’Union européenne. Il faut
se demander à quoi elles servent ? Protéger les peuples européens
ou au contraire renforcer les contraintes qui pèsent sur eux ? Il faut
enfin se demander quel type d’Europe, forte des délégations opérées,
pourrait être la garante des aspirations voulues par les peuples des
États-membres ?