
Il est certain que Georges Papandréou se serait épargné l’humiliation que lui ont fait subir de manière honteuse Merkel et Sarkozy s’il avait soumis à référendum les plans d’austérité il y a deux ans et non pas en catastrophe maintenant. Et surtout il aurait peut-être épargné à son peuple nombre de désagréments. Pour ce qui concerne Merkel et Sarkozy, leur arrogance de puissants en dit long sur leur cynisme et leur mépris de la démocratie. Il faut bien ça pour éviter d’avoir à reconnaître que ce sont les politiques néolibérales qui ont mené à la crise, la Grèce n’ayant finalement fait qu’appliquer jusqu’au bout le précepte en vogue partout : faire reculer l’impôt à tout prix, surtout celui des riches, de telle sorte que ceux-ci puissent prêter aux États, et amorcer ainsi l’engrenage de la dette.
(...) La monnaie et la dette sont au cœur de l’extraordinaire crise que connaît le capitalisme mondial depuis plus de quatre ans. La finance ayant pris le pouvoir avec la bénédiction de tous les gouvernements pour imposer la « valeur pour l’actionnaire », les classes dominantes ont cru trouver la parade à la crise de suraccumulation du capital (tous les secteurs productifs sont en surcapacité de production), d’une part en développant une gigantesque spirale spéculative, d’autre part en palliant la stagnation des salaires par l’endettement. La catastrophe ne pouvait que survenir : partie du secteur de l’immobilier aux États-Unis, elle a gagné le secteur bancaire et financier, puis toute l’économie qui est entrée en récession ou stagnation, provoquant ainsi un accroissement des déficits publics. L’Union européenne et la zone euro, qui devaient être des remparts, ont été des bombes à retardement.
Les gouvernements des pays membres de la zone euro sont incapables de nous aider à sortir de la crise parce que, jusqu’ici, le rôle d’une monnaie et l’enjeu de la maîtrise de la création monétaire et du crédit ont été sciemment niés. (...)
on a vu récemment, au cours de la crise dite des dettes publiques, combien les banques pouvaient se refinancer à très bas coût auprès de la BCE (1,25 % actuellement) pour ensuite prêter aux États en déficit à des taux exorbitants pouvant aller, comme dans le cas de la Grèce, jusqu’à des dizaines de pour cent. L’affaire était, jusqu’à peu, juteuse pour les banques dans la mesure où, en vertu des statuts de la BCE, les États membres de la zone euro ne pouvaient émettre de bons du Trésor directement auprès de celle-ci et se trouvaient obligés de les placer sur les marchés financiers. Les banques les achetaient, pour leur propre compte ou celui de leurs épargnants, tous étant assurés jusqu’à la crise de percevoir une rente importante non rognée par l’inflation.
Ainsi, la baisse de la fiscalité sur les plus riches, l’interdiction faite aux États d’emprunter à taux zéro auprès de la banque centrale, le recours aux marchés financiers entraînant un effet de boule de neige dès que les taux y sont supérieurs au taux de croissance économique et l’effet récessionniste de la crise expliquent la montée générale des dettes publiques, sans que l’on note une augmentation des dépenses publiques significative.[2]
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Pourquoi la perte de la politique monétaire et, par conséquent, de la possibilité d’émettre de la monnaie pour financer des dépenses publiques est-elle dommageable pour la collectivité ? Pour au moins trois raisons.
1) En enlevant à la puissance publique le droit de faire appel à l’émission de monnaie pour répondre à des besoins collectifs lorsque les impôts ne suffisent pas, la monnaie est dévoyée puisqu’elle n’est plus qu’un instrument d’enrichissement privé et qu’elle perd sa capacité à exprimer un lien social. (...)
2) La banque centrale et sa politique étant explicitement mises au service de la rentabilité financière, il en est résulté le développement de mécanismes porteurs de spéculation, d’instabilité, de déréglements et, au bout, de crises.
3) Mais, et c’est l’aspect le plus méconnu, le recours au crédit est indispensable pour financer le développement économique. Il l’est évidemment pour le capitalisme dont la logique est de toujours accumuler davantage. Mais il l’est et le serait aussi pour une société qui, débarrassé de la logique du profit, déciderait de se développer. (...)
Si la situation n’était pas si dangereuse, on pourrait sourire de l’impuissance des gouvernements des pays membres de l’Union européenne ou de la zone euro à résoudre la crise que leurs politiques ont engendrée.
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Devant ce triste spectacle, la proposition d’audit citoyen sur la dette publique[5] est une mesure de salubrité publique urgente, afin de déclarer illégitimes les dettes publiques engendrées par les politiques néolibérales et la crise et d’annoncer qu’elles ne seront pas honorées, en décidant à l’échelle européenne les pays prioritaires, compte tenu de leurs difficultés. Pour réussir cette opération, la socialisation de tout le secteur bancaire européen, la séparation étanche entre les activités de dépôt et de prêt et les activités de placement des banques, sont indispensables, de même que la restauration d’une forte progressivité de la fiscalité. Il n’y a là aucune impossibilité pratique (...)
En l’absence d’une telle réorientation, nous ne sommes pas encore au bout du tunnel. Il serait donc temps qu’on cesse de parler de crise de la dette alors que la dette est due à la crise. (...)