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le monde diplomatique
Crimes économiques sans châtiment
février 2015 / Aurélien Bernier Auteur de Comment la mondialisation a tué l’écologie, Mille et une nuits, Paris, 2012.
Article mis en ligne le 15 février 2017
dernière modification le 11 février 2017

En délocalisant leur production dans les pays les plus pauvres, les entreprises multinationales ne recherchent pas seulement une main-d’œuvre à bon marché. La faiblesse des lois sociales et environnementales les protège des poursuites judiciaires. Cette impunité prospère aussi faute d’instances internationales ou de tribunaux compétents en la matière dans les pays consommateurs.

Du 29 mai au 1er juin 2014, la ville de Montréal accueillait la première session canadienne du Tribunal permanent des peuples (TPP) relative à l’industrie minière. Lors d’un procès fictif, des militants et des personnalités de la société civile ont « jugé » de grandes entreprises accusées de violer les droits humains et de détruire l’environnement. Cette démarche à la fois théâtrale et sérieuse visait non seulement à mettre en lumière les dégâts liés à l’extraction de matières premières, mais également à dénoncer l’impunité dont bénéficient les multinationales implantées dans les pays pauvres.

En droit international, la notion de crime économique contre les peuples ou contre l’environnement n’existe pas. La « communauté internationale » n’est pas dépourvue d’instruments juridiques, à l’image de la Cour internationale de justice ou de la Cour pénale internationale, mais ces derniers ne s’appliquent pas aux activités économiques que les entreprises mènent à l’étranger. Les marées noires, les accidents industriels ou la corruption de fonctionnaires locaux ne méritent pas, semble-t-il, de juridiction compétente. Mieux, les pays occidentaux n’ont pas estimé judicieux de doter leurs tribunaux des moyens de juger les agissements de leurs multinationales à l’étranger : il s’agirait d’une forme de violation de la souveraineté nationale des pays qui accueillent lesdites entreprises.

La loi française, par exemple, précise qu’un crime ou un délit commis hors du territoire sera jugé en France si et seulement si « le crime ou le délit est puni à la fois par la loi française et par la loi étrangère, et s’il a été constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère ». En somme, pour que les dirigeants de Total soient sanctionnés en France pour leur soutien à la junte birmane, il faudrait qu’ils aient été préalablement condamnés, pour les mêmes faits, par le tribunal de… Naypyidaw, la capitale de la Birmanie. Une perspective qui, jusqu’ici, n’a pas privé de sommeil les « créateurs de richesse » français, et pour cause : grâce au chantage aux délocalisations et aux moyens gigantesques dont disposent les multinationales, une condamnation dans un pays aussi pauvre et corrompu s’avère le plus souvent utopique. (...)