
Dans une lettre ouverte dévoilée en exclusivité par le JDD, l’association de citoyens et acteurs de la science Citizen4Science enjoint le CNRS de dénoncer la "désinformation mortifère" diffusée par le sociologue Laurent Mucchielli au sujet du vaccin contre le Covid-19, et de le sanctionner.
L’association de citoyens et acteurs de la science Citizen4Science reproche d’abord au CNRS la faiblesse de sa réaction après un billet du sociologue, publié sur son blog personnel hébergé par Mediapart (qui l’a depuis retiré), sur la prétendue mortalité liée à la vaccination anti-Covid.
Evoquant un chercheur "en dérive publique depuis un an et demi", Citizen4Science presse l’organisme de s’opposer "fermement à [s]a méconduite scientifique" propageant une "désinformation mortifère", en dénonçant publiquement celle-ci, en faisant retirer toute la "production afférente" de Mucchielli "des sites affiliés au CNRS" et en le sanctionnant.
Voici leur lettre ouverte.
Le 4 août 2021, le CNRS s’est très timidement désolidarisé de l’un de ses directeurs de recherche, sur Twitter via son compte officiel @CNRS : "Laurent Mucchielli est sociologue au CNRS mais s’exprime à titre personnel sur la vaccination anti-Covid. Le CNRS ne peut aucunement être associé à cette prise de position". Nous avions immédiatement répondu à votre tweet péremptoire via notre compte officiel @Citizen4Sci : "Incroyable de lire cela. Ce monsieur s’exprime en tant que chercheur au CNRS et utilise cette position pour tromper le public. Vous apportez donc votre caution en laissant faire. Agissez, et vite." En complément nous avons tweeté un extrait de la charte française de déontologie des métiers de la recherche manifestement enfreinte par votre chercheur. (...)
Votre tweet nous est apparu comme une réponse gênée en réaction à la dépublication par Mediapart de votre chercheur sur son blog personnel hébergé par ce média : "La vaccination Covid à l’épreuve des faits. 2e partie : une mortalité inédite". Le motif de retrait par Mediapart ? la "diffusion de fausses nouvelles [...] sous l’alibi de démonstrations prétendument scientifiques". Nous saluons cette décision responsable et la justification apportée, qui contrastent douloureusement avec votre façon de balayer du revers de la main votre responsabilité.
Qu’en est-il sur le fond ? L’article écrit par votre chercheur instrumentalise la science pour faire passer une idéologie antivaccinale. Il s’agit d’une démonstration pseudo-scientifique qui s’appuie sur des données brutes d’événements survenus chez les vaccinés sans causalité établie, présentées pour leur faire dire ce qu’elles ne disent pas : une soi-disant dangerosité des vaccins contre la Covid qui aurait conduit à potentiellement 100.000 morts en France. La faille de raisonnement est grossière et à vrai dire un subterfuge classiquement utilisé par les adeptes de la pseudoscience au point que nous en avons fait une planche éducative intitulée "illusion de la corrélation", utilisée dans les écoles et collèges. Voilà qui s’apparente donc clairement à une manipulation du public non averti.
Peu impressionné par votre déclaration peu honorable qui ne fait, il faut l’avouer, que l’encourager à persévérer, M. Mucchielli s’est empressé de crier à la censure et de publier à nouveau son billet litigieux sur le blog France-Soir, bastion de la dérive complotiste, ainsi que chez Altermidi, média local revendiquant la libre expression des opinions. La science n’est pourtant pas une opinion, ce qui nous a amené à inviter ce média à retirer ce billet de désinformation à deux reprises.
Comment pouvez-vous tolérer ces manipulations grossières du public, et le fait que votre chercheur persiste et signe avec pour toute réponse de votre part un tweet laconique pour s’en laver les mains ?
D’autant que M. Mucchielli n’en est pas à son coup d’essai. Il participe depuis 18 mois à la diffusion de fausses informations sur la pandémie en défendant des thèses pseudo-scientifiques, et ce totalement hors de son champ de compétence : il a promu tour à tour des traitements contre la Covid non éprouvés voire dangereux (hydroxychloroquine, ivermectine), s’est opposé au confinement, le taxant d’inefficace pour lutter contre la pandémie, allant jusqu’à rassembler des signataires pour une tribune comprenant quelques scientifiques figures du "rassurisme" complotiste au milieu d’un flot de signataires comme lui sans légitimité sur la problématique abordée. (...)
on retrouve chez M. Mucchielli la rhétorique habituelle d’accusations gratuites de corruption des acteurs de la crise sanitaire. Tout le monde y passe : les médecins chercheurs (qui seraient payés par l’OMS), les autorités sanitaires (ANSM), les laboratoires pharmaceutiques, les médias "mainstream" et le gouvernement, le tout selon votre chercheur, "assorti de purs mensonges." "Tout ceci n’est ni de la science, ni de la médecine. C’est de l’idéologie, associée à un commerce", a-t-il clamé le 17 août dans un billet de blog sous forme d’entretien. Comme nous l’avons indiqué publiquement le jour-même dans un thread Twitter en réponse, il s’agit de la mise au pilori du consensus scientifique et de ceux qui le font, un véritable piétinement de la science, au final un engouffrement dans l’obscurantisme par une personne incompétente sur les sujets techniques abordés. (...)
Pour justifier votre inaction, vous prétendez via votre tweet du 4 août que M. Mucchielli s’exprime à titre personnel. Cet argument ne tient pas une seconde. En effet, votre chercheur rappelle sa position de directeur de recherche au CNRS de façon constante sur les réseaux sociaux, dans les médias et tous les billets qu’il a produits dans son espace blog Mediapart et ailleurs, y compris à l’IHU Marseille. Il use ainsi en permanence de son affiliation au CNRS comme argument d’autorité auprès du public. (...)
Dans son interview du 17 août, une étape a été franchie : il précise faire partie d’une équipe de recherche de 6 personnes sur le Covid et les vaccins. La confusion des genres et des fonctions est telle sur que dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 19 août, des sociologues dont membres du CNRS s’indignent : "La sociologie ne consiste pas à manipuler des données pour étayer une position idéologique", évoquant une "démonstration d’incompétence professionnelle". Il s’agit là d’une condamnation ferme par ses pairs. D’ailleurs, êtes-vous conscient du malaise induit auprès des collaborateurs de son laboratoire, qui peuvent facilement être assimilés aux propos et agissements douteux de votre chercheur ?
Son site CNRS est en outre truffé des liens vers des sites complotistes et désinformateurs tels que France-Soir et ReinfoCovid de Louis Fouché. Vous n’êtes sans doute pas sans savoir, concernant ce dernier, que l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille vient de prendre ses responsabilités : son communiqué du 18 août précise qu’il est évincé suite à "ses prises de paroles à l’opposé des principes moraux, éthiques, déontologiques et scientifiques" de l’AP-HM. (...)
Il est urgent d’agir à votre tour. Vous disposez de tous les arguments pour faire cesser le scandale destructeur de la parole d’un chercheur au CNRS en dérive publique depuis 1 an et demi. (...)
Votre guide CNRS "Pratiquer une recherche intègre et responsable" qui décline les principes de la charte citée ci-dessus, précise : "Le chercheur est garant de la fiabilité et de l’objectivité des informations qu’il communique. Il peut être conduit à s’exprimer dans les médias et en direction du public sur des sujets sensibles, voire controversés, dont la complexité et l’ampleur des enjeux ne s’accordent pas avec des réponses simples et univoques. [...] Il est de la responsabilité des chercheurs, dans l’intérêt de la science et le respect de leur institution, d’apprécier l’impact que peuvent avoir les informations qu’ils y déposent et de s’assurer de leur fiabilité et de leur objectivité." Par ses écrits largement contestables d’un point de vue scientifique et en dehors de son champ d’expertise, M. Mucchielli enfreint très largement ce point.
Que des scientifiques partent à la dérive, c’est un phénomène récurrent, particulièrement depuis l’arrivée du Covid. Mais que les sociétés savantes et les organismes de recherche dont ils dépendent laissent faire, sans être le verrou de sécurité nécessaire qui fait partie de leur rôle, c’est de la complicité dont les conséquences en pleine pandémie sont gravissimes. La crédibilité de la recherche scientifique française a été mise à mal à de nombreuses reprises durant cette pandémie. Il est urgent de vous opposer fermement à la méconduite scientifique, au non-respect des règles déontologiques, et au final à la propagation de désinformation mortifère en stoppant M. Mucchielli dans son entreprise actuelle. (...)