
Bertrand Guidet est chef du service de médecine intensive réanimation de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. Il a participé en mars à la rédaction d’un texte intitulé « Priorisation de l’accès aux soins critiques dans un contexte de pandémie » commandé par le ministère de la santé. Sa thématique de recherche depuis vingt ans est la prise en charge des patients âgés en réanimation.
S’achemine-t-on vers une saturation à court terme des lits de réanimation dans certains hôpitaux du pays ?
Il y a une grande inquiétude. Certains départements comme la Seine-Saint-Denis ou la Loire sont déjà sous l’eau. L’inquiétude est renforcée par le fait que cette deuxième vague survient en hiver, une période où les services de réanimation sont habituellement pleins car toutes les pathologies chroniques s’aggravent beaucoup plus lorsqu’il fait froid. A ce stade, on peut juste espérer que les différentes mesures barrières mises en place diminuent le nombre de ces affections (grippe, bronchiolite…).
Le facteur limitant, ce ne sera ni les locaux, ni les médicaments… Ce sera le personnel. Les 10 000 lits promis par le ministre de la santé, Olivier Véran, on n’y arrivera pas. En Ile-de-France, au pic de la première vague, on est monté à 2 700 lits, contre 1 100 en temps normal. Cette fois, on n’arrivera jamais à en ouvrir autant, car nous n’aurons pas le renfort des soignants d’autres régions et le personnel est fatigué.
Par ailleurs, il va falloir continuer à accueillir les patients non Covid. (...)
Comment va-t-on tenir dans la durée ? Il y a des malades qui ne seront pas pris en réanimation. On s’y prépare. (...)
Dans cette hypothèse, quels patients auraient accès à la réanimation ?
On peut avoir une approche égalitaire – une vie vaut une autre vie – ou une approche utilitariste – certains patients, par leurs caractéristiques, sont plus prioritaires que d’autres. Entre une mère de trois enfants et un homme de 80 ans, faut-il tirer au sort pour attribuer le dernier lit disponible ? Bien sûr que non. Mais en tant que médecin, choisir est un crève-cœur. (...)
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Comme au premier confinement, un décret permet aux médecins de ville de prescrire du Rivotril, un puissant sédatif utilisé en soins palliatifs, pour remplacer le midazolam. (...)
En temps normal, le Rivotril est prescrit pour la prise en charge de l’épilepsie, mais il peut aussi être utilisé à l’hôpital quand les malades souffrent d’une atteinte pulmonaire particulièrement grave. Pourquoi ? Le clonazépam, la molécule du Rivotril, appartient à la même famille (les benzodiazépines) que le midazolam, un médicament très utilisé en soins palliatifs, en réanimation et qui permet d’endormir le patient jusqu’à son décès. « Les médecins utilisent de façon quotidienne cette famille [de molécules, ndlr] en soins palliatifs », explique Claire Fourcade, présidente de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs, contactée par CheckNews. (...)
Comme nous l’expliquions dans une réponse précédente, le Rivotril permet de ne pas « laisser mourir de suffocation » les patients. Ce médicament a donc pour but l’amélioration du confort du patient en fin de vie. Il ne signifie en revanche en aucun cas l’arrêt des soins, comme ont pu le dénoncer certains lors de la parution du premier décret sur le recours au Rivotril dans le cadre du Covid, en mars.
Mercredi 4 novembre, le ministre de la Santé, Olivier Véran, auditionné à l’Assemblée nationale, et revenu sur la polémique, dénonçant le « mauvais procès honteux » fait à l’époque. (...)
Pourquoi avoir octroyé une dérogation ? Le midazolam peut aussi bien être prescrit à l’hôpital qu’à domicile depuis février 2020. L’accès au Rivotril, en revanche, est plus restreint. En dehors de l’hôpital, « la prescription de Rivotril est déjà possible en cas d’hospitalisation à domicile. Les médecins peuvent aussi indiquer que cette prescription intervient dans le cadre de soins palliatifs », explique Claire Fourcade. Mais le médicament doit quand même être fourni par une pharmacie hospitalière. Avec l’article 53 du décret du 29 octobre (qui est une copie de l’article 1 du décret du 28 mars), les pharmacies de villes peuvent désormais vendre directement le Rivotril et donc fournir les patients et les Ehpad dans le cadre d’un traitement pour le Covid-19. La procédure est donc simplifiée. (...)
Lors de la première vague de l’épidémie, le recours au midazolam avait explosé, notamment en réanimation, ce qui avait poussé le gouvernement à donner la dérogation pour le Rivotril afin d’éviter la pénurie. (...)
Sur le terrain, Benoît Veber, responsable de la réanimation chirurgicale du CHU de Rouen évoque aussi une mesure préventive : « Il n’y a pas de pénurie actuellement mais on anticipe une grosse vague. Toutes les prévisions le montrent. Je pense que le gouvernement anticipe pour nous permettre de diversifier les prescriptions ce qui est une bonne chose ». En pratique, « le premier choix reste le midazolam », indique de son côté Claire Fourcade.
Sur son site, la SFAP présente d’ailleurs les différents protocoles de traitements en soins palliatifs en fonction de la situation dans le contexte du Covid-19. (...)