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oeil fertile
Confiteor de Jaume Cabré
Article mis en ligne le 14 août 2022
dernière modification le 13 août 2022

Difficile de décrire cette sensation, lorsque vous finissez un livre qui, tout au long de sa lecture, vous a profondément transformé. 771 pages desquelles vous sortez différent, à la fois ému (oserais-je dire bouleversé ?), pensif, émerveillé, sans savoir comment ordonner ces multiples sentiments. Mais peut-être n’est-il pas nécessaire de les ordonner justement.

« Je vous en prie, n’arrêtez pas de penser. Et de temps en temps, écrivez vos pensées. »

Confiteor n’est pas un livre, c’est un testament. Publié aux éditions Actes Sud, le plus souvent gage de grande qualité, l’ouvrage nous raconte l’histoire d’Adria Ardevol, érudit catalan et figure majeure de l’histoire de la pensée de la deuxième moitié du XXe siècle. Fils unique d’un père antiquaire et d’une mère au foyer, Adria met en récit les différents moments de sa vie, de son enfance dans les années 40 à Barcelone à sa vieillesse au début du XXIe siècle, moment choisi par Alzheimer pour assaillir cet esprit si brillant. Enfant surdoué, curieux de tout, Adria vit dans une famille qui n’a que faire du bonheur et qui élève la notion de performance au rang de dogme. Son père souhaite le voir apprendre le plus de langues possibles et prendre sa suite en tant que philologue expert en manuscrits et livres rares. Sa mère veut faire de lui un violoniste virtuose. Lui, au milieu, veut être érudit. C’est par des études à la fois littéraires et philosophiques qu’il parviendra à étancher cette soif de connaissances, au point de devenir, aux cotés d’Isiah Berlin et d’Eugénio Coseriu, l’un des maitres de la Geistesgeschichte, matière tentaculaire que nous pourrions traduire par « histoire des idées ».

Lire Confiteor, c’est comme écouter un grand-père raconter une histoire, l’histoire de sa vie, de sa famille, de ses ancêtres et ici de tout l’occident. Mais cette œuvre est tout sauf une simple biographie. (...)

Confiteor est un roman en forme de biographie, un méta-roman. Faire du narrateur un autobiographe dans l’esprit duquel la maladie d’Alzheimer commence à prendre racine est une idée qui bouleverse ce que l’on attend du genre, Adria disant d’ailleurs qu’il se fait le notaire d’une vie qui lui appartient de moins en moins. Le jeu, entre les souvenirs et les oublis se met progressivement en place et lorsque la noirceur de ces trous de mémoire se fait trop dense, seule la littérature et l’imagination semble pouvoir venir au secours, non pas uniquement de l’auteur, mais du narrateur écrivain. Autre élément narratif qui fait de ce livre un véritable unicum : l’utilisation des digressions. (...)

Tel le labyrinthe du Minotaure ou un jeu de poupées russes, les histoires et les époques de sa vie s’entremêlent. La digression est le maître-mot de ce roman.

Mais au delà de son histoire personnelle, des allers retours entre le moment de l’écriture et les moments vécus par son personnage qui n’est autre que lui-même, Adria l’érudit remplace parfois Adria l’homme pour développer une réflexion qui s’étale non plus sur les différentes époques de sa vie, mais sur les différentes époques de l’Histoire. Sans crier gare, toujours avec ce même principe narratif, il insère dans le récit de sa vie le récit de la pensée occidentale. (...)

Le chemin qu’il nous force à suivre n’est fait que de détours, d’histoires disséminées et pourtant liées et emboitées entre elles. Une sorte d’effet papillon à l’échelle de l’Histoire, où chaque action trouve son écho dans les époques ultérieures. (...)

ce roman réussit le tour de force de donner une unité cette mosaïque de récits. Ce chemin sinueux se parcourt malgré tout sous les auspices d’un violon, le Storioni, incarnation et métaphore d’une sainte trinité de concepts fondamentaux que sont le Mal, l’Amour et l’Art. (...)