
Monsieur le Président Barroso,
Nous faisons partie des survivants du « voyage non choisi » dans lequel, ces jours ci, plus de 300 personnes, dont des femmes, des enfants, des hommes ont perdu la vie sur la rive nord de la Méditerranée, sur la côte de Lampedusa en Italie. Nous sommes des femmes, des hommes et des enfants contraints d’ affronter ce voyage à cause de guerres souvent soutenues et financées par l’économie belliciste des pays occidentaux.
Nous sommes toujours l’une des principales conséquences des politiques d’ajustement structurel imposées par les institutions internationales telles que la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International aux peuples du sud. Politiques toujours faites au détriment du bien commun des peuples d’où nous venons.
Monsieur le Président, nous sommes les survivants de cette mer Méditerranée, qui devrait être un lieu d’inter-échange culturel réel et non pas théorique, cette mer aujourd’hui devenue un cimetière à ciel et mer ouvert. Nous sommes ces femmes, ces enfants et ces hommes auxquels on cherche et on continue à vouloir ôter le droit à la vie à travers une politique d’accords bilatéraux avec des gouvernements bien souvent peu présentables.
C’est pourquoi nous considérons comme hypocrites les appels de ceux qui prêchent la nécessité d’une loi sur l’asile alors qu’ils continuent, dans leur aveuglement politique et leur manque de volonté à surmonter ces accords qui continuent de fouler aux pieds la dignité et les droits des personnes. Tout cela se manifeste matériellement par la politique désastreuse et inhumaine des prisons ethniques et la militarisation des frontières de l’Europe et de ses États membres.
Monsieur le Président, devant les morts de Lampedusa on parle d’une tragédie dont il faudrait avoir honte, on parle d’« accident » qui ne doit jamais se reproduire. Au contraire, nous, les réfugiés, les migrants et les militants antiracistes croyons avec conviction qu’il ne s’agit ni d’une fatalité ni d‘une catastrophe naturelle. Parce que là où les gens sont contraints de vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés, à commencer par le droit à la liberté de circulation des personnes. Nous sommes face à un crime dont les responsabilités, politiques et morales, sont claires.
C’est pourquoi, nous sommes convaincus, nous réfugiés et migrants, l’ayant vécu dans notre chair, qu’il s’agit des conséquences de politiques à courte vue et le résultat injuste de la culture de l’indifférence, de l’égoïsme et du racisme répandue à l’intérieur et à l’extérieur des institutions.
Voyez par exemple, Monsieur le Président, ce qui se passe dans la plupart des pays européens, avec la montée du racisme et de la discrimination envers les migrants, les réfugiés et les Rroms (Grèce, France, Italie, Hongrie, Malte, Espagne et d’autres) et l’utilisation esclavagiste qui est faite de la main d’oeuvre migrante comme un angle d’attaque et de dévaluation des droits des travailleurs et des travailleuses ainsi que des couches populaires de la société.
Monsieur le Président, l’Union européenne a échoué dans sa mission, une Europe de la solidarité et de l’hospitalité, avec l’échec des politiques restrictives et répressives comme la directive de Dublin, le système Frontex ou des règles comme la loi Bossi-Fini en Italie. Voilà pourquoi la honte réside précisément dans ces règles et mesures qui non seulement ne protègent pas les demandeurs d’asile, les réfugiés et les migrants en général, mais les enferme dans de véritables cages et les expose à une culture de la banalisation du mal et de l’indifférence en vertu de leur statut.
Monsieur le Président, nous voulons vous dire et, à travers vous, à l’ensemble du Parlement européen, que l’illusion de pouvoir arrêter la circulation des personnes à travers toujours plus d’instruments de contrôle et de répression, cela ne représente que la énième tromperie au détriment de l’opinion publique et des citoyens.
Pourquoi émigrer est une nécessité : d’abord parce qu’il s’agit de fuir la guerre et la famine.
Ces raisons nous ont amenés à organiser la première marche européenne de Paris à Strasbourg en 2012, en passant par la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Allemagne, la Suisse et enfin l’Italie avec la Coalition Internationale des Sans- Papiers et des Migrants (CISPM).
Enfin, Monsieur le Président, pour donner la parole aux besoins des survivants, aujourd’hui contraints à vivre en marge de la société, sans aucune aide, nous avons convoqué une Assemblée Européenne le 16 Novembre 2013, à Rome, qui nous mènera à la première caravane pour le droit d’asile et la liberté de circulation des personnes.