
C’est la nouvelle enquête, dévoilée ce 23 février, du groupement de journalistes Investigate Europe : le Traité sur la charte de l’énergie. Il permet aux géants des énergies fossiles de dissuader les États d’instaurer des politiques climatiques volontaristes. Qu’est-ce que ce traité ? Peut-on en sortir ? Reporterre fait le point.
C’est un traité méconnu, mais aux effets désastreux. « Il rend l’action climatique plus coûteuse, plus difficile et plus lente », pour Amandine Van Den Berghe, juriste au sein de l’organisation environnementale Client Earth. Le Traité sur la charte de l’énergie (TCE) est un outil très utile aux investisseurs et aux entreprises des énergies fossiles : ses mécanismes permettent de dissuader ou de sanctionner les pouvoirs publics qui adoptent des mesures favorables à la lutte contre le réchauffement climatique. À cause de lui, tout pays voulant interdire les projets de forage ou d’extraction minière s’expose à des réclamations et des dédommagements.
Cette mésaventure est arrivée aux Pays-Bas. (...)
Selon une enquête du groupement de journalistes Investigate Europe, parue ce mardi 23 février, les infrastructures fossiles protégées par le TCE dans l’Union européenne, la Grande-Bretagne et la Suisse représentent 344,6 milliards d’euros, soit le double du budget annuel de l’UE. Les trois quarts des investissements protégés sont les infrastructures gazières et pétrolières (126 milliards d’euros) et les pipelines (148 milliards). Des révélations qui sont l’occasion de faire le point sur ce traité méconnu.
Qu’est-ce que le Traité sur la charte de l’énergie ?
Signé le 17 décembre 1994, le TCE est entré en vigueur en 1998 et compte, à ce jour, cinquante-trois parties prenantes, dont l’Union européenne (UE) et tous les pays de l’UE — sauf l’Italie, qui s’est retirée en 2016 —, le Japon, l’Australie, ou encore la Turquie. « Son objectif initial était de sécuriser l’approvisionnement en énergies fossiles des pays d’Europe de l’Ouest à partir des pays issus du bloc soviétique », explique à Reporterre Yamina Saheb, experte des politiques énergétiques et ancienne responsable de l’unité efficacité énergétique du secrétariat international du TCE.Du côté de la société civile, la grogne monte contre le traité et les atermoiements des diplomates. Ce mardi 23 février, plusieurs dizaines d’organisations européennes, dont Youth For Climate, Alternatiba, Attac, les Amis de la Terre et Stop Ceta-Mercosur, ont publié une pétition pour demander aux gouvernements et aux institutions européennes de sortir du traité et de stopper son expansion à de nouveaux pays. « Désarmez les entreprises du secteur des énergies fossiles dès maintenant », exhortent-elles.
Quelques mois plus tôt, déjà, plusieurs déclarations et lettres, de parlementaires européens, de scientifiques, d’acteurs du marché des renouvelables ou encore de jeunes du monde entier appelaient l’UE et ses États membres à se retirer du Traité sur la charte de l’énergie. (...)
Le traité repose sur un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, qui permet aux entreprises d’attaquer un État devant un tribunal arbitral privé. (...)
Depuis 1998, plus de 136 litiges connus font référence au TCE, « dont 66 % sont des litiges intraeuropéens », souligne Yamina Saheb.
Pourquoi ce traité entrave-t-il la lutte contre le changement climatique ?
« Cette justice parallèle peut réduire à néant les objectifs de l’Accord de Paris pour le climat, alerte Sara Lickel, chargée de plaidoyer commerce à l’Institut Veblen, qui œuvre pour une économie plus juste et respectueuse des limites physiques de la planète. L’industrie des énergies fossiles utilise de plus en plus le TCE pour contester l’action climatique et continuer à tirer profit de la combustion du pétrole, du charbon et du gaz. »
Outre le contentieux entre RWE et les Pays-Bas, l’Allemagne a été poursuivie à deux reprises par la multinationale énergétique suédoise Vattenfall. (...)
« Ces actions contribuent à la fois à ralentir certaines mesures, mais aussi à obtenir une compensation financière que les investisseurs n’auraient pas obtenue sur un plan national », observe Amandine Van Den Berghe. Or, cette compensation ne se justifie pas toujours. (...)
Comme le montre l’enquête d’Investigate Europe, les investisseurs peuvent poursuivre les gouvernements non seulement pour la valeur de leurs infrastructures, mais aussi pour le manque à gagner attendu, ce qui a pour effet d’alourdir considérablement le coût des politiques climatiques. De plus, Investigate Europe a démontré que le personnel dirigeant du TCE a des liens étroits avec l’industrie des combustibles fossiles. Tant et si bien que saisir un tribunal ne constitue pas le seul moyen de pression pour les gouvernements, puisqu’« il suffit parfois simplement de brandir cette menace pour dissuader les décideurs politiques d’adopter des mesures ambitieuses », dénonce Sara Lickel.
En France, l’entreprise pétrolière canadienne Vermilion est parvenue à faire reculer le gouvernement sur le projet de loi hydrocarbures. C’était en 2017 (...)
La version définitive de la loi a finalement autorisé le renouvellement des permis d’exploitation pétrolière jusqu’en 2040, voire au-delà sous certaines conditions.
« En protégeant les investissements étrangers dans les énergies fossiles, le TCE protège les investissements étrangers dans les émissions de gaz à effet de serre, résume Yamina Saheb. Il défait la souveraineté des États à un moment de notre histoire où nous avons besoin d’enclencher les politiques énergétiques les plus ambitieuses possibles. »
La sortie ou la réforme ?
Que faire de ce traité : le transformer ou en sortir ? Depuis 2019, l’Union européenne et le secrétariat du TCE négocient une « modernisation » du traité. Trois cycles de négociations ont eu lieu en 2020, et le prochain round se tiendra du 2 au 5 mars. Mais « il est peu probable que les négociations en cours sur la modernisation du TCE aboutissent à un traité compatible avec l’Accord de Paris », juge Yamina Saheb. Toute modification du traité requiert un vote à l’unanimité de tous les pays signataires, or les positions des États sont très disparates. (...)
un rapport du secrétariat du TCE, fuité en décembre, montre qu’il n’y a eu aucun progrès sur les discussions autour de la modernisation du traité. La prochaine phase de négociations n’est guère plus encourageante. (...)
Certains États, comme la France ou l’Espagne, ne croient pas en une modernisation du traité. En décembre, les ministres français Bruno Le Maire, Barbara Pompili, Franck Riester et Clément Beaune ont adressé une lettre à la Commission européenne dans laquelle ils reconnaissent que « les conditions ne sont (…) clairement pas réunies pour envisager une conclusion satisfaisante des négociations à court ou moyen terme » et demandent que « l’option d’un retrait coordonné de l’Union européenne et de ses États membres soit dès à présent évoquée publiquement tout en étant expertisée dans ses modalités juridiques, institutionnelles et budgétaires ». (...)
La sortie coordonnée souhaitée par la France est nécessaire pour pouvoir annuler la « clause de survie » du TCE. Cette clause prolonge l’application des dispositions du TCE pendant une période de vingt ans aux investissements réalisés dans le pays qui se retire du traité. Mais « une sortie commune est improbable, tant l’Europe est déchirée sur la question », juge Amandine Van Den Berghe. (...)
Du côté de la société civile, la grogne monte contre le traité et les atermoiements des diplomates. Ce mardi 23 février, plusieurs dizaines d’organisations européennes, dont Youth For Climate, Alternatiba, Attac, les Amis de la Terre et Stop Ceta-Mercosur, ont publié une pétition pour demander aux gouvernements et aux institutions européennes de sortir du traité et de stopper son expansion à de nouveaux pays. « Désarmez les entreprises du secteur des énergies fossiles dès maintenant », exhortent-elles.
Quelques mois plus tôt, déjà, plusieurs déclarations et lettres, de parlementaires européens, de scientifiques, d’acteurs du marché des renouvelables ou encore de jeunes du monde entier appelaient l’UE et ses États membres à se retirer du Traité sur la charte de l’énergie. (...)