
C’est le moment de changer de banque : des banques éthiques émergent partout en Europe. Mais comment s’y retrouver ? Si en France, trois des cinq plus grandes banques sont coopératives, cela ne les a pas empêchées de tremper dans la finance spéculative et toxique, au même titre que les banques d’affaires classiques. Heureusement, une nouvelle forme de banque coopérative fait son chemin. Avec un fonctionnement réellement démocratique et des financements socialement utiles, la Nef et le Crédit coopératif contribuent à modifier le paysage bancaire hexagonal. Cette dynamique pourra-t-elle changer le visage de la finance ? Enquête.
(...) La finance éthique, solidaire et écologique connaît une nouvelle dynamique depuis la crise financière de 2008, et pas uniquement en Belgique. En Croatie, pays de quatre millions d’habitants, entré dans l’Union européenne il y a trois ans, un projet de nouvelle banque coopérative et éthique est aussi en train de voir le jour. (...)
Des banques éthiques de ce type existent un peu partout en Europe : Banca Etica (Italie), Triodos (Pays-Bas), Merkur (Danemark), Ekobanken (Suède)... Ces banques sont réunies au sein de la Fédération européenne des banques éthiques et alternatives, la Febea.
En France, le Crédit coopératif, première banque de financement de l’économie sociale et solidaire (ESS), compte plus de 320 000 clients et 44 500 sociétaires. La Nef, coopérative financière créée en 1988, attire près de 36 000 sociétaires et s’approche de plus en plus de son objectif : devenir une véritable banque de plein exercice [1] (...)
ces banques-là se sont explicitement donné pour mission de contribuer à une finance solidaire, d’utilité publique, transparente et le plus souvent écologique. La Nef, dont l’acronyme signifie « Nouvelle économie fraternelle », s’est engagée à « favoriser l’implication consciente des individus pour que l’argent contribue à une évolution sociale, en plaçant l’être humain au cœur d’une économie plus solidaire et fraternelle » [3]. La banque, dont le siège social est à Vaulx-en-Velin, près de Lyon, s’est aussi dotée d’une charte des valeurs, qui précise par exemple que les fonds déposés à la Nef, réinvestis dans des crédits, sont utilisés pour des projets « qui contribuent à un développement économique durable, dans un esprit de solidarité, dans les domaines culturel, écologique et social ». Et que les ressources de la Nef proviennent en totalité de l’épargne et du capital de ses membres, sans aucun recours aux marchés financiers. Le Crédit coopératif s’est, de son côté, dédié au financement de l’économie sociale et solidaire.
Impossible pour la Nef ou le Crédit coopératif de participer directement au financement de projets d’extraction de charbon ou à la spéculation sur les matières premières dans le monde
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Innovations financières et taxe sur les transactions
Au-delà de leur politique originale pour l’octroi de crédits, les banques éthiques françaises se sont aussi distinguées par les produits financiers qu’elles développent : les comptes à terme de la Nef, qui permettent de donner les intérêts du placement à une association partenaire (les Amis de la terre, Amnesty International...) ou à des projets d’énergies renouvelables ; les comptes courants Agir du Crédit coopératif, qui servent à financer l’ESS. Les comptes à terme de la Nef et les livrets d’épargne du Crédit coopératif bénéficient d’ailleurs du label « Finance solidaire » de Finansol, association qui a pour objet de promouvoir la solidarité dans l’épargne et la finance. (...)
La finance éthique a même développé de véritables innovations bancaires. En 2011, le Crédit coopératif a ainsi mis en place une « taxe Tobin » maison : la contribution volontaire sur les transactions de change (CVTC). Soit une contribution de 0,01 % sur le montant des opérations de change, reversée ensuite à des acteurs du développement international. En trois ans, la contribution a produit environ 230 000 euros. (...)
Des banquiers itinérants
Sur le terrain, la Nef a introduit en 2009 une autre forme d’innovation : le métier de banquier itinérant. « L’idée, c’est de faire en sorte qu’une petite structure comme la Nef puisse à la fois s’ancrer sur le territoire, maintenir des sociétaires actifs, et entrer dans une dynamique de développement », explique Béatrice Chauvin, première banquière itinérante de la Nef et auteure d’une thèse sur le sujet. C’est elle qui a lancé cette initiative, sur le modèle des banquiers ambulants de la Banca Etica italienne. Aujourd’hui, la Nef compte six banquiers itinérants implantés aux quatre coins de la France (Caen, Lille, Forcalquier, Marseille, Bordeaux et Strasbourg). (...)
Comment être une banque éthique tout en étant « adossée » à un groupe ?
Dans les deux banques, un événement a fait bondir une partie des sociétaires : l’adossement, décidé en 2002, du Crédit coopératif à la BPCE. Un rapprochement qui concerne aussi la Nef, par ricochet, puisque la petite banque éthique est en partenariat avec le Crédit coopératif pour les comptes chèques et les livrets d’épargne qu’elle propose à ses clients. « Les débats ont été houleux dans les deux banques », signale la chercheuse Nadine Richez-Battesti. Cet « adossement » doit permettre au Crédit coopératif de se refinancer au même taux que le grand groupe bancaire BPCE. « Nous ne sommes pas une filiale de la BPCE, insiste Imad Thabet. C’est plutôt le contraire. Dans une coopérative, c’est la base des sociétaires qui détient les caisses locales, qui elles-mêmes détiennent la banque nationale. C’est le modèle des banques populaires. » Le Crédit coopératif détient ainsi 1 % du capital de la BPCE.
Il n’empêche. Le lien entre les deux banques a de quoi refroidir les citoyens qui cherchent, dans le Crédit coopératif et la Nef, des banques alternatives totalement indépendantes des dérives de la finance. Comment, tout à la fois, être la banque de référence de l’économie sociale et solidaire et se retrouver adossée à un groupe bancaire dont la filiale d’investissements, Natixis, a été largement impliquée dans la crise de subprimes de 2008 ? Comment, tout à la fois, être une banque pionnière du financement de l’agriculture biologique et des énergies renouvelables et se trouver liée, même par un intermédiaire, à un groupe qui a consacré 11 milliards d’euros aux énergies fossiles depuis 2009 [5] ? L’équation est difficile. La Nef veut la résoudre en devenant une banque de plein exercice dans les prochaines années. Ce qui rendrait de fait caduc le partenariat avec le Crédit coopératif.
La concentration fait obstacle aux banques alternatives
Le paradoxe tient en partie dans la concentration du monde bancaire. Tout particulièrement en France, où la loi de 1984 sur la banque universelle a favorisé le modèle des très grandes banques. (...)