
C’était l’un des engagements phares de François Hollande : amorcer la réduction de la dépendance au nucléaire dans le cadre d’une transition énergétique apte à répondre aux défis du dérèglement climatique. Cinq ans plus tard, les avancées paraissent bien maigres, du fait de l’opposition résolue des défenseurs de l’atome et de l’absence de vision politique du côté gouvernemental. Pourtant, les débats sur la sûreté des centrales et leur capacité à soutenir des pics de consommation montrent que ces questions se font de plus en plus pressantes. Voici pourquoi la France ne parvient pas à se doter d’une politique énergétique claire.
Le processus de fermeture de Fessenheim vient certes de franchir une nouvelle étape ce 24 janvier 2017, avec l’approbation de l’indemnisation proposée par l’État par le conseil d’administration d’EDF. Pour la suite, aucun calendrier n’est fixé.
Comment on évite un débat
Tout commence en novembre 2012, avec l’organisation d’un « débat national sur la transition énergétique » associant milieux économiques, élus, associations environnementalistes, syndicats et simples citoyens, afin de donner une base constructive et si possible consensuelle à la future loi voulue par François Hollande. D’emblée, les entreprises les plus directement concernées – Areva et EDF – mettent tout en œuvre pour ne pas se retrouver débordées. Elles obtiennent une large représentation à tous les niveaux : dans le comité de pilotage, où siège notamment Anne Lauvergeon, alors patronne d’Areva, au conseil national du débat sur la transition énergétique, dans la liste des experts officiels, et dans les débats en région. Même parmi les représentants des organisations syndicales, de la CGT à la CFE-CGC, les employés d’EDF sont sur-représentés [1].
Parallèlement, les industriels ne se privent pas de court-circuiter le processus. Une pluie de notes inonde les bureaux du ministère de l’Environnement en provenance du Trésor, d’entreprises comme Areva ou de l’Association française des entreprises privées (Afep), qui représente les grandes entreprises hexagonales. L’ancienne ministre de l’Écologie Delphine Batho raconte également, dans le livre qu’elle publie après sa sortie du gouvernement en 2013 [2], comment Jean-Marc Ayrault et certains de ses collègues lui reprochent sans cesse de ne pas suffisamment « associer les entreprises »… Le Premier ministre d’alors finit par la convier à un dîner avec Christophe de Margerie (Total), Henri Proglio (EDF) et d’autres PDG pour qu’ils lui fassent directement la leçon. Selon nos informations, jusqu’au dernier moment, les coordinateurs du débat ont dû montrer patte blanche dans le bureau du patron d’EDF, qualifié par Delphine Batho de « ministre fantôme » de l’énergie.
« Le lobby, c’est l’État lui-même » (...)
Les lobbys les plus efficaces sont ceux qui peuvent compter sur un réseau des plus variés, à tous les niveaux de l’État. C’est le cas du nucléaire : il bénéficie d’élus locaux et de parlementaires acquis à sa cause [3]. Il compte de puissantes associations professionnelles, comme l’Union française de l’électricité, qui regroupe les grands acteurs du secteur, et des « think tanks » dévoués, telle la Société française de l’énergie nucléaire. Il étend son influence au cœur de l’État, grâce au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Le dogme nucléaire imprègne les futurs grands serviteurs de l’État via le prestigieux corps des Mines, dont on retrouve des représentants partout où se décide la politique énergétique de la France, depuis les grandes entreprises comme EDF et Areva, jusqu’aux cabinets ministériels en passant par le CEA, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). « Le lobby, c’est l’État lui-même », estime même l’ancienne ministre Corinne Lepage. Il compte même ses partisans « environnementalistes » avec l’association pro-nucléaire Sauvons le climat. (...)
Les lobbys les plus efficaces sont ceux qui peuvent compter sur un réseau des plus variés, à tous les niveaux de l’État. C’est le cas du nucléaire : il bénéficie d’élus locaux et de parlementaires acquis à sa cause [3]. Il compte de puissantes associations professionnelles, comme l’Union française de l’électricité, qui regroupe les grands acteurs du secteur, et des « think tanks » dévoués, telle la Société française de l’énergie nucléaire. Il étend son influence au cœur de l’État, grâce au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Le dogme nucléaire imprègne les futurs grands serviteurs de l’État via le prestigieux corps des Mines, dont on retrouve des représentants partout où se décide la politique énergétique de la France, depuis les grandes entreprises comme EDF et Areva, jusqu’aux cabinets ministériels en passant par le CEA, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). « Le lobby, c’est l’État lui-même », estime même l’ancienne ministre Corinne Lepage. Il compte même ses partisans « environnementalistes » avec l’association pro-nucléaire Sauvons le climat. (...)
Polémique sur le coût de la fermeture de Fessenheim
Le mythe très répandu en France – mais largement faux [6] – selon lequel la sortie du nucléaire en Allemagne aurait favorisé le charbon est invoqué à de nombreuses reprises à l’Assemblée. « Regardez l’Allemagne : à cause de sa sortie du nucléaire, elle augmente ses émissions de carbone » [7], prétend ainsi le député Julien Aubert (LR). Ce qui est faux : les émissions de CO2 allemandes ont alors baissé de 4 % entre 2013 et 2014. (...)
Parallèlement à cet « alarmant » rapport sur le coût de la fermeture de Fessenheim, un autre rapport est lui, tout aussi opportunément, enfoui sous le tapis : celui de l’Ademe montrant qu’il était possible, contrairement aux arguments des pro-nucléaires, d’atteindre une électricité 100% renouvelable en France à l’horizon 2050 [8]. (...)
Que penser au final de cette transition énergétique déclinée en loi ? François Hollande et ses ministres ont maintenu, malgré les pressions, les objectifs officiels de réduction de la part du nucléaire et de baisse de la consommation d’énergie. Imaginaient-ils que ces objectifs puissent véritablement être atteints sans transformer en profondeur l’ordre énergétique établi et les rapports de pouvoir en son sein ? C’est bien ce qu’il semble. En cela la loi sur la transition énergétique rappelle d’autres réformes manquées du quinquennat Hollande, comme la loi bancaire ou celles portant sur l’agriculture. Les échéances électorales qui approchent risquent de remettre en cause les quelques avancées. Si cela se confirme, l’action obstructionniste du lobby nucléaire aura finalement payé.