Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
non fiction
Comment la psychiatrie prend-elle en charge la question des suicides en masse au Japon ?
Article mis en ligne le 25 octobre 2014
dernière modification le 17 octobre 2014

L’anthropologue Junko Kitanaka, après une étude d’une dizaine d’années en milieu psychiatrique japonais, tente de circonscrire le problème des suicides en masse qui se sont produits au Japon dans les années 90/2000, à raison de taux astronomiques : 30 000 suicides par an sur une période de douze années. Pour le lecteur français, cette sinistre période qui accompagne la dépression économique fait écho aux suicides au travail qui se sont également produits en France, notamment à France Télécom à partir de 2008.

(...) Si les travailleurs japonais fragilisés, qu’ils soient suicidaires ou dépressifs, ont été fortement médicalisés et médicamentés, il est néanmoins erroné de croire qu’ils ont simplement été pris sous la coupe des laboratoires pharmaceutiques. La « bonne parole » biochimique n’est en effet pas tombée en terrain vierge : les manières indigènes de penser toutes ces dimensions de la vie humaine ont été son terreau, et de 1998 à 2010 (période de l’étude de Junko Kitanaka), elles se sont transformées, à l’instar des lois qui encadrent le régime de protection des travailleurs.

C’est à l’étude de ces transformations sociétales et de leurs fondements historico-cliniques que s’attache l’auteur, en suivant pas à pas les particularismes culturels japonais qui ne sont pas sans, parfois, stupéfier le lecteur occidental : que penser de ces salariés suicidés qui « laissent des lettres avec des instructions détaillées concernant le travail non fini et des excuses à leur entreprise pour ne pas avoir pu faire mieux » ? Ou bien, sur un plan plus théorique, comment ne pas être surpris par l’idée selon laquelle la « maladie mentale » peut être « provoquée par le stress psychologique au travail » ? Quand en France, la détresse psychologique induite par des conditions de travail excessives n’est pas assimilée à une « maladie mentale » bien plus souvent associée à l’hallucination et au délire qu’au stress... se profile, soit une carence nosographique grave chez les Japonais, soit des formulations japonaises qu’il est difficile de traduire tant la mentalité japonaise diffère de la nôtre au point qu’il soit difficile de trouver les mots justes pour en rendre compte.

Junko Kitanaka, dont l’ouvrage initialement paru en anglais est ici traduit par Pierre-Henri Castel, explicite justement les transformations de la mentalité et de la société japonaise à travers l’exploration de l’ « idiome » japonais de la psychiatrie : « Au moyen de pratiques adaptées au contexte local et transformées en routines, l’idiome de la psychiatrie devient (...) un pouvoir internalisé – intimement tissé à même la voix de sujets saisis dans leur monde tel qu’ils le vivent. (...)