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Comment l’UE camoufle le terrorisme d’extrême-droite contre les musulmans
Alain Gabon est professeur des universités et maître de conférences en Études françaises aux États-Unis.
Article mis en ligne le 7 août 2017

On a désormais la preuve par Europol elle-même que l’essentiel du terrorisme d’extrême-droite contre les réfugiés et les minorités en Europe est presque systématiquement et délibérément exclu des statistiques

Le deux poids, deux mesures qui structure de A à Z la médiatisation, les discours, une bonne partie de la recherche ainsi que les politiques sur le terrorisme est désormais bien connu, quotidiennement visible, empiriquement vérifiable et amplement documenté.

Pour résumer, il consiste en une double déformation systématique de la réalité et de la diversité du terrorisme, que l’on réduit d’abord au terrorisme de type non-étatique (style al-Qaïda ou Daech) – produisant déjà une première et énorme distorsion dans la représentation du phénomène, le terrorisme étatique étant de loin le pire de tous – avant de restreindre une second fois les discours et représentations de ce terrorisme (exclusivement non-étatique donc) à l’une de ses variétés : le « djihadisme islamiste ».

Il en ressort une perception du phénomène grossièrement biaisée, faussée, déformée et surtout, parfaitement inexacte. Ce qui semble d’ailleurs être le but recherché.

Le « terrorisme », mot à géométrie variable

L’excellent et incisif journaliste américain Juan Cole a établi de façon concise et avec beaucoup d’humour la liste de ces deux poids, deux mesures, et tout un chacun peut régulièrement en observer la véracité.

Ainsi, les terroristes blancs ne sont en général pas des terroristes mais de simples « meurtriers » ou « criminels », alors que leurs homologues arabes et/ou musulmans, eux, sont immédiatement perçus et catégorisés comme « terroristes ». De même, les premiers sont toujours présentés comme des individus isolés sans aucun rapport avec quelque autre personne ou groupe, tandis que les « djihadistes » font inévitablement partie d’un groupe, voire d’un vaste complot « islamiste » planétaire, quand bien même il est évident que l’attaquant était lui aussi un individu parfaitement isolé, un loner coupé de tout.

Un terroriste blanc et/ou chrétien ne sera jamais présenté comme typique des blancs ou des chrétiens. Par contre, un Arabe sera toujours représentatif des prétendues tares de sa société d’appartenance supposée. Un musulman qui s’attaque à d’autres personnes en hurlant « Allahu Akbar » est ainsi automatiquement considéré comme caractéristique de la « maladie de l’islam », de sa soi-disant « violence innée ». On sommera alors tous les musulmans et leurs autorités spirituelles, imams et autres, de « dénoncer » son acte, de « faire entendre leurs voix », de « combattre la violence qui couve en leur sein ».

Par contraste, la religion chrétienne, les chrétiens en général et leurs autorités n’ont jamais, au grand jamais, quoi que ce soit à voir avec le terrorisme chrétien tel qu’exprimé par les meurtres de docteurs et d’infirmières qui pratiquent des avortements ou les attaques de cliniques et de centres de planning familial – actes assez répandus, et depuis longtemps, aux États-Unis, au point qu’ils ne surprennent plus personne tant ils sont devenus banals.

La culpabilité et la responsabilité collective ne s’appliquent donc que lorsque le terroriste est musulman. Remarquons d’ailleurs que l’expression « terrorisme christianiste » n’existe pas, contrairement au terrorisme « islamiste ».

En outre, les djihadistes sont toujours parfaitement décrits comme sains d’esprit et maîtres de leurs actes. Mais les autres, surtout ceux qui tuent ou cherchent à tuer des musulmans, sont en général présentés comme des fous, des détraqués et des cas cliniques qui relèvent avant tout de la psychiatrie. (...)

Le dernier rapport d’Europol, « EU Terrorism. Situation and Trend 2017 », malgré sa rhétorique alarmiste (car il faut bien justifier ses budgets), montre que comme les années précédentes, cette menace terroriste avec laquelle on effraie nos populations tue en réalité très peu et que rien, aucune cause de mortalité, violente ou pas, ne tue moins que cela en Europe : 142 victimes en 2016 sur les 510 millions d’habitants des 28 pays de l’UE. On aimerait que toutes les autres causes de mort violente, des accidents aux homicides, soient à un si bas niveau.

On voit aussi à quel point nos dirigeants, médias, pseudo-experts en terrorisme et têtes parlantes des plateaux télé nous mentent à la fois sur l’ampleur et sur les tendances de cette menace. Alors que tous, tous les jours, martèlent qu’elle n’a jamais été aussi haute et ne cesse d’empirer, la réalité est exactement le contraire, comme le rappelle le rapport d’Europol : « Le total des 142 attaques confirme et poursuit la diminution du nombre des attentats entamée en 2014 (226 cas) et 2015 (211) » (p. 10). (...)

Non seulement le nombre d’attentats réussis est faible, mais la proportion des attaques « djihadistes » par rapport au total l’est également (13 sur 142). Et les attentats dits djihadistes diminuent eux aussi, à la fois en nombre (de 17 en 2015 à 13 en 2016) et en victimes (de 151 en 2015 à 142 en 2016). (...)

Comment l’UE exclut de ses chiffres le terrorisme contre les musulmans, immigrés et réfugiés

Surtout, une lecture attentive du rapport nous apprend, au détour d’un paragraphe (p. 10), une autre chose proprement sidérante, confirmant ce que l’on suspectait déjà depuis un moment : à savoir que les États membres (à une exception près, la Hollande) ne considèrent pas « les assauts violents commis par des individus et groupes d’extrême-droite contre les demandeurs d’asile et les minorités ethniques en général » comme des actes terroristes ! Ils ne les incluent donc pas dans leurs chiffres, statistiques, communiqués et rapports. Même chose pour Europol, qui se base sur les données fournies par ces États membres. On en reste soufflé. (...)

Ce choix délibéré est encore plus grave et injustifiable compte tenu du contexte : une explosion vertigineuse du nombre d’attaques de ce type, d’ailleurs reconnue également par Europol : « Les réfugiés et minorités ethniques de l’UE font face à une violence accrue », et cette vague de crimes est destinée à « sévèrement intimider des segments de ces populations » (p. 8). Ce qui constitue selon sa propre définition et celle de l’UE l’une des motivations et l’un des critères suffisants pour classifier un crime comme « acte terroriste ».

Malgré cela, le rapport soutient qu’« il ne s’agit pas de terrorisme ou d’extrémisme violent. Ces crimes ne sont donc pas rapportés par les États membres et ne sont dès lors pas inclus dans les chiffres ». Ahurissant. (...)

On ne peut qu’imaginer – à défaut donc de le connaître par manque de données accessibles – le nombre astronomique des attaques contre les autres minorités ethniques ou perçues comme telles en dehors des réfugiés, et à quoi ressembleraient les rapports Europol ou autres et les discours sur « la menace terroriste » dans nos sociétés — ses cibles et victimes principales, ses attaquants, ses idéologies, ses figures inspiratrices — si tout cela était inclus et communiqué par les États membres et leurs agences. (...)

Ce terrorisme-là, dont le simple chiffre ci-dessus sur l’Allemagne suggère qu’il pourrait bien être le plus répandu de tous, se retrouve du même coup protégé de l’attention, des mesures spéciales et des politiques publiques dont il pourrait faire l’objet, à l’instar du « djihadisme ».

On a donc désormais la preuve par Europol elle-même que l’essentiel, voire la totalité, du terrorisme d’extrême-droite contre les réfugiés (musulmans et autres) et les minorités ethniques en Europe est presque systématiquement et délibérément exclu des comptes, statistiques, discours et rapports publics des États membres de l’UE. Ce qui revient par là-même à protéger ces terroristes-là des politiques anti-terroristes qui pourraient les cibler aussi durement que l’on cible leurs homologues djihadistes.