
S’attaquer à peine un an et demi après au désastre nucléaire créé par la centrale de Fukushima n’est pas une mince affaire. Le faire dans un pays où la catastrophe est dans toutes les têtes mais où peu osent prendre la parole est un défi risqué. "Il faut avoir du courage pour réaliser ce film" nous dit une spectatrice émue à la sortie du film. Avec son "pays de l’espoir" (kibô no kuni) Sion Sono, écrivain et réalisateur prolixe - Suicide club, Coldfish, Guilty of Romance - réussit pourtant avec brio à évoquer avec un ton juste un sujet si difficile et si douloureux pour les Japonais
L’histoire se déroule quelques années après la catastrophe de Fukushima, dans la préfecture fictive de Nagashima. On y fait la connaissance d’une famille d’éleveurs, de ses joies simples du repas en famille. Et puis soudain tout bascule, tout recommence : séisme, coupure de courant, et la crainte que quelque chose se soit produit là-bas à la centrale, avant que ne débarquent armée et police en tenue Tyvek, pour établir la limite des 20km… qui partage la propriété en deux. Tout est tirée d’un fait réel, celui d’un éleveur, interprété avec force par Isao Natsuyagi, qui vit débarquer police et militaires dans leur cour, situé à 20km de la centrale accidentée de Fukushima et installer en quelques minutes les barrières de la zone interdite. En face, leurs voisins furent évacués en bus illico. "De votre côté, vous êtes au-delà des 20km donc vous ne serez pas évacués" répéta à la famille de l’éleveur la police sans autre information.
Dans le bus des villageois devenus des réfugiés, on s’interroge : reviendrons-nous chez nous ? Avant qu’un homme s’exprime : "Souvenez-vous de Fukushima, ils ne sont jamais rentrés chez eux." (...)
Et puis, le caractère ubuesque, presque comique de cette triple catastrophe du 11 mars – séisme, tsunami, accident nucléaire - qui dépasse l’imagination, qui renverse tout ce que l’on croyait savoir. Comme pour soulager le spectateur, Sion Sono s’autorise quelques passages surréalistes qui font parfois rire dans la salle : comme ce couple, faisant une séance de photos en tenue v-teck, instant de bonheur loufoque. Ou la femme de l’éleveur atteinte d’Alzheimer, errant perdu dans la zone interdite au milieu des animaux abandonnés, et s’étonnant chaque soir au journal télévisée : "Tiens, on dirait qu’il s’est passé quelque chose à la centrale". (...)
En plaçant l’action dans une préfecture imaginaire, à une date inconnue, on aurait pu croire que Sion Sonno voulait épargner ses spectateurs. En réalité, en situant l’action dans le futur, il montre les conséquences à long terme d’une catastrophe nucléaire, en faisant évoquer par ses personnages – réfugié, médecin - l’accident de Fukushima, avec cette réplique martelée à tout moment : "Souvenez-vous de Fukushima, souvenez-vous de ce qui s’est produit ensuite". Les dialogues et répliques des personnages sonnent vrais et pour cause : elles ont été recueillies pendant le tournage, à Fukushima, auprès des réfugiés. Mais en choisissant la fiction plutôt que le documentaire, c’est les sentiments des victimes de cette catastrophe que le réalisateur cherchait à atteindre et faire partager. (...)
