
Champion du monde de la consommation de pesticides, le Brésil semble vouloir conserver son titre si peu honorifique avec le président Bolsonaro aux commandes. Le consommateur européen pourrait regarder cela de loin, se pensant à l’abri derrière les normes sanitaires plus restrictives de son continent. En fait, cela nous concerne aussi directement. Car des pesticides interdits en Europe continuent d’y être fabriqués puis sont exportés vers le Brésil, qui nous les renvoie ensuite parmi les tonnes de soja, de café, de raisin, ou d’oranges vendues chaque année à la France et au reste de l’Europe. Explications.
239 pesticides supplémentaires ont été légalisés et mis sur le marché au Brésil depuis l’arrivée au pouvoir du président d’extrême-droite Jair Bolsonaro, le 1er janvier 2019. Plus d’un par jour ! Un record qui vient s’ajouter à celui d’être le premier consommateur de pesticides au monde, avec plus de 500 000 tonnes par an. En 2017, le Brésil représentait même 18 % du marché mondial des pesticides. La très importante présence de groupes agricoles industriels et de leurs lobbys jusqu’au sein du parlement brésilien explique cette course folle. Mais à quel prix ? Une personne meurt presque tous les deux jours au Brésil intoxiquée par les pesticides [1]. Évidemment, les travailleurs agricoles sont les plus exposés. Un drame sanitaire que la nouvelle ministre de l’Agriculture brésilienne, Tereza Cristina da Costa, explique par le fait que, selon elle, « les travailleurs agricoles font un mauvais usage des produits ».
Avant d’entrer au gouvernement de Bolsonaro, Tereza Cristina da Costa dirigeait l’association des « ruralistes » au Parlement brésilien. Ce groupe rassemble députés et sénateurs qui portent les intérêts de l’agrobusiness. (...)
Une partie de ces pesticides est produite sur le continent européen, par des entreprises européennes, puis exportée au Brésil. Certains de ces produits ne sont destinés qu’à l’exportation. Cela pour une raison simple : ils sont tellement toxiques que leur utilisation est interdite en Europe. (...)
Beaucoup de groupes industriels vendeurs de produits pesticides sont européens. Or, une grande partie des produits qu’ils vendent au Brésil est interdite dans leur propre pays », explique Larissa Mies Bombardi, géographe et professeure à l’Université de São Paulo. Elle étudie depuis près de dix ans la question des pesticides dans son pays. À partir des données des importations de pesticides au Brésil, de leur utilisation dans les différentes régions et pour les différentes cultures, et des données d’exportations de ces produits, elle a élaboré un Atlas des usages des pesticides au Brésil, et leurs connexions avec l’Europe. Un travail inédit pour alerter l’opinion publique européenne et brésilienne sur la dangerosité des nombreux produits consommés et exportés par son pays vers notre continent. (...)
en matière de pesticides comme de matériel militaire, l’Europe n’est pas avare d’hypocrisie. Ainsi, cette année, le Royaume-Uni a fourni aux agriculteurs brésiliens plus de 200 tonnes de paraquat, un herbicide interdit en Europe depuis 2007 [2]. « Des études ont prouvé que l’exposition chronique au paraquat pouvait provoquer à long terme les dommages suivants : altération des fonctions pulmonaires, dermatose de la peau, maladies neuro-dégénératives », souligne l’ONG suisse Public Eye au sujet des effets toxiques de ce produit. De même, l’Italie a vendu au Brésil en 2019 plus de 200 tonnes d’un herbicide interdit dans l’Union européenne depuis 2004 : l’atrazine. Pour un montant d’un peu plus de 750 000 dollars (660 000 euros) [3].
Au moins 25 substances toxiques interdites en Europe vendues par Bayer et BASF au Brésil (...)
Quand la France interdit l’export de pesticides toxiques, la ré-autorise, puis l’interdit à nouveau
En France, un article de la loi agriculture votée en octobre 2018 a interdit, à partir de 2022, l’exportation de pesticides prohibés sur le sol national. Mais les sénateurs sont revenus sur cette mesure dans la loi Pacte, au printemps, jugeant que les producteurs français de pesticides pouvaient continuer à vendre à des pays du Sud des produits trop toxiques pour être autorisés en Europe. Finalement, le Conseil constitutionnel, sur demande des députés de gauche, a retoqué ce retour en arrière, et confirmé l’interdiction d’export de ces substances (...)
Au final, plus d’un tiers des pesticides utilisés au Brésil sont interdits en Europe, car trop nocifs pour la santé humaine. Sans être illégal, ce juteux commerce a de graves conséquences sur la santé des travailleurs agricoles et des consommateurs brésiliens. Il a aussi des conséquences sur nous, consommateurs européens. Car le Brésil exporte énormément de denrées alimentaires. (...)
Des dizaines de pesticides interdits utilisés pour cultiver les oranges, le soja et le café (...)
Si l’Europe est sous la menace de ses propres pesticides, qu’elle a interdit sur son sol, la situation au Brésil est encore bien plus grave. Sur le territoire brésilien, 5000 fois plus de résidus de pesticides sont permis dans les aliments et l’eau courante ! Laver ses fruits, se doucher et même cuisiner peut donc être source de forte exposition à ces produits toxiques... Même l’eau en bouteille peut potentiellement être contaminée car les nappes phréatiques pourraient aussi être polluées, selon Larissa Mies Bombardi.
Les habitants des zones rurales sont encore plus exposés. (...)
« Dans dix ans, la principale cause de mortalité au Brésil sera le cancer », alerte Larissa Mies Bombardi.