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Mediapart
Climat : « On a dix ans. En dix ans, aucun nouveau réacteur nucléaire ne sera prêt »
Article mis en ligne le 16 janvier 2022

Le ministre de l’énergie du Luxembourg dénonce le « double jeu » de la France et l’absence de démocratie européenne à propos du projet de la Commission visant à classifier les énergies en fonction de leur contribution aux objectifs de la « neutralité climat ». Dans un entretien accordé à Mediapart, Claude Turmes pointe « une erreur politique majeure ».

Les pays européens ont jusqu’au 21 janvier pour remettre à la Commission leur avis sur son projet de classification des énergies en fonction de leur contribution aux objectifs de « la neutralité climat » – ce qu’on appelle à Bruxelles la « taxonomie verte ». En incluant nucléaire et gaz fossile parmi les énergies de transition, la proposition a provoqué une levée de boucliers (lire ici à ce sujet). La France est sous le feu des critiques pour son lobbying forcené en faveur de l’atome, au point de soutenir les revendications pro-énergie fossile des pays gaziers (...)

Le Luxembourg fait partie, avec l’Allemagne, l’Autriche et l’Espagne, des États qui ont officiellement protesté contre le document de la Commission. Frontalier de la centrale nucléaire française de Cattenom, l’État envisage de saisir la Cour de justice de l’Union européenne et dénonce l’absence de procédure démocratique sur ce sujet hyper sensible.

Claude Turmes, son ministre de l’énergie, fut élu pendant presque vingt ans au Parlement européen. Il s’y fit connaître comme rapporteur des directives qui ont structuré la vision et la politique de l’Union sur le climat : directive sur les énergies renouvelables, sur l’efficacité énergétique, sur le marché de l’électricité et les plans climat, ainsi que sur le registre européen des lobbies. (...)

Dans un entretien à Mediapart, il estime que la Commission européenne commet « une erreur politique majeure », critique le double jeu de la France et s’inquiète : aucun nouveau réacteur nucléaire français ne sera prêt à temps pour lutter contre les dérèglements du climat. (...)

Claude Turmes : C’est une provocation. Et un acte politique qui va créer beaucoup de dommages sur un instrument, la taxonomie verte, que je considère très, très important. Si l’on veut gagner la lutte contre le changement climatique, il faut que les financiers aient des consignes claires pour investir dans les technologies qui sont vertueuses – l’efficacité énergétique et les renouvelables – et qui sont rapides. Le gaz et le nucléaire ne remplissent pas ces conditions.

On voit très bien avec un pays comme la France, que le nucléaire crée un énorme problème pour la sécurité d’approvisionnement de l’Europe. Quinze de ses réacteurs, prétendus sûrs, sur un total de 56, sont actuellement à l’arrêt. La France avait un objectif de 23 % d’énergie renouvelable dans sa production d’énergie en 2020, et elle n’a atteint que 17 %. C’est le pays qui a raté son objectif de la façon la plus spectaculaire en comparaison avec tous les autres pays européens.

Dès qu’on rêve de « nouveau nucléaire », le danger existe de ralentir le rythme des investissements dans les renouvelables. La coïncidence d’avoir de vieux réacteurs souvent en réparation et le fait de n’avoir pas mis en place ces dernières années assez de capacité d’éolien, surtout en mer, et de solaire, crée un problème de sécurité d’approvisionnement en ces jours de froid. Cela touche la France mais cela crée aussi un stress sur le système électrique européen. (...)

Le nucléaire est une technologie qui a un énorme problème de déchets, et présente un risque qui n’est pas zéro. C’est une technologie chère qui coûte le double des nouveaux investissements dans les renouvelables. (...)

L’enfouissement en couche géologique profonde, c’est un peu la politique des trois singes : ne pas vouloir voir ce qui pourrait poser problème, ne rien vouloir dire de ce qu’on sait pour ne pas prendre de risque, et ne pas vouloir entendre pour pouvoir faire comme si on ne savait pas. Car cette question n’est pas tranchée entre les experts et je trouve assez incroyable que la Commission européenne, sous la pression de la France, suggère que ce soit une solution durable et super verte.

S’ajoute la question du démantèlement des réacteurs. La France n’a pas provisionné assez d’argent. (...)

dans un rapport de Barbara Pompili, qui date de l’époque de son mandat de députée, on lit que la France estime que démanteler un réacteur coûte 300 millions d’euros. L’Allemagne et la Grande-Bretagne, qui ont déjà démantelé des réacteurs, contrairement à la France, disent que cela coûte un milliard. Qui croire ? Je ne suis pas persuadé que le document de la Commission européenne sur la taxonomie va forcer la France à passer de 300 millions de provision par réacteur à un milliard.

Troisième problème : l’un des grands facteurs de risque des réacteurs nucléaires français est que les piscines de combustibles usagés se trouvent à l’extérieur de l’enceinte en béton des bâtiments réacteurs, à la différence de toutes les centrales allemandes. Et c’est là qu’on voit comment la France a travaillé au corps la Commission européenne : dans la partie sécurité, la proposition de la Commission omet les questions de sécurité et d’attaques malveillantes. C’est un point faible de la filière nucléaire française. Enfin, la couverture du risque par les systèmes d’assurance des centrales nucléaires en cas d’accident n’apparaît pas non plus dans le texte de la Commission. (...)

pourquoi permet-on que des centrales nucléaires soient construites jusqu’en 2045 ? Selon l’Agence internationale de l’énergie dans son « scénario 1,5° », le seul moyen pour le monde de gagner la course sur le climat, c’est que tous les pays développés aient un système électrique zéro carbone en 2035. Alors quel est l’intérêt de construire des centrales nucléaires après 2035, si c’est une énergie de transition ? Elles remplacent quoi jusqu’en 2045 ? Cela montre à quel point ce chapitre nucléaire est outrancier.

Le Luxembourg veut positionner sa place bancaire sur le créneau vert, et donc souhaite que la taxonomie européenne ait une grande crédibilité par rapport aux citoyens et aux investisseurs. Or, dans son état actuel, la taxonomie détruit une grande partie de cette crédibilité. (...)

L’objectif de réduction de 55 % au moins des gaz à effet de serre en 2030 (par rapport à 1990), appelé « Fit for 55 » avec son objectif de renouvelables de 40 %, nous mettait sur le bon chemin. Les connexions électriques sont mises en place en Europe. Tout est là. Et au lieu d’avancer ensemble, on risque de faire dérailler toute la dynamique positive pour l’efficacité énergétique et les renouvelables à cause de la pression des lobbies.