« L’impératif écologique » ne justifie pas la suppression de la navette Air France vers Orly, estiment les responsables des collectivités locales et de la CCI Bordeaux Gironde, relayant les préoccupations d’industriels, dont Dassault. Dans une lettre au Premier ministre, ils s’inquiètent du projet d’arrêter des lignes aériennes lorsqu’il existe des alternatives en train de moins de 2h30. Les réactions des écologistes ont fusé.
(...) Les ministres de l’économie, Bruno Le Maire, et de l’écologie Elisabeth Borne, ont en effet confirmé la semaine dernière que le plan d’aide de 7 milliards d’euros accordé à Air France serait conditionné à des critères écologiques, dont « la fermeture de lignes aériennes intérieures », sauf pour les liaisons vers des hub, et à condition qu’existe une « alternative en train durant moins de 2h30 ».
Une telle décision viserait en fait les vols Air France entre Orly d’un côté, et Nantes, Lyon et Bordeaux de l’autre – même si, relève Air France joint ce jour par Rue89 Bordeaux, Orly pourrait être considéré comme un hub, puisqu’il dessert la Guyane, La Réunion ou les Antilles, mais aussi New-York et plusieurs destinations européennes. (...)
Actionnaires en colère
Si la feuille de route sur les vols domestiques sera présentée cet été par la compagnie, les élus locaux s’activent en coulisses. La « suppression de la navette » d’Air France serait « une mauvaise réponse à une bonne question », estime ainsi Alain Anziani.
Le maire de Mérignac, premier monté au créneau, a reçu le soutien des autres représentants locaux (département de la Gironde excepté) au conseil de surveillance de l’aéroport : le maire de Bordeaux Nicolas Florian, le président de la métropole Patrick Bobet, d’Alain Rousset, le président de la Région Nouvelle-Aquitaine, et le président de la CCI Bordeaux Gironde, Patrick Seguin, actionnaire principal de l’aéroport après l’Etat (respectivement 25% et 60% des parts). (...)
Il s’agit clairement de Dassault : l’avionneur, qui a ces dernières années agrandi son usine de Mérignac, transfère en effet en Gironde des emplois depuis ses sites d’Ile-de-France. Et ses salariés effectuent chaque année des milliers de vols entre Mérignac et Orly, avant notamment de rallier Saint-Cloud, à l’ouest de Paris, un site jugé plus accessible par la navette que par le train. (...)
« Nous sommes donc en présence d’un transport aérien dont la vocation première n’est pas de satisfaire des aspirations touristiques, mais de permettre à des salariés d’effectuer des allers-retours dans la journée », justifient-ils.
« Errements du vieux monde »
Précisément ce que dénoncent les écologistes. Candidat à la mairie de Bordeaux, Pierre Hurmic estime ainsi que « le redressement économique de nos entreprises ne peut s’exonérer de contreparties écologiques et climatiques ». Or, déplore-t-il,
« le courrier commun CCI, Région et Métropole s’aligne sur la position des industriels sans chercher avec eux des solutions nouvelles permettant de limiter davantage le déplacement de leurs cadres via des outils numériques collaboratifs, tels que le télétravail, les vidéoconférences… (…) Le rôle des pouvoirs publics n’est-il pas d’accompagner les entreprises de l’Aéroparc vers une mutation inévitable au lieu de persister à les ancrer dans les errements du vieux monde ? » (...)
Pour beaucoup, la réduction du trafic aérien, fortement émetteur de gaz à effet de serre (l’avion émet 45 fois plus de CO2 par kilomètre et par voyageur que le TGV, et son impact est probablement sous évalué) est un impératif dans la lutte contre le réchauffement planétaire. Une proposition de loi suggérait déjà de supprimer des lignes intérieures pour cette raison. Au niveau local, l’aéroport de Bordeaux-Mérignac pèse 28% des émissions de gaz à effet de serre liés aux déplacements dans la métropole. (...)
La Sepanso, une des principales associations environnementales de la région, s’est également indignée dans un communiqué du courrier des collectivités, ainsi que des déclarations de François Bayrou pour plus de navettes aériennes entre Pau et Paris.
« Avez-vous oublié que l’aéronautique a été à l’origine même de la propagation de la pandémie ? » interroge l’ONG qui milite « pour le rétablissement des trains de nuits, alternative à l’avion, qui satisfaisait tant de passagers, par exemple ceux de Tarbes, Pau, Irun… »
Verra-t-on dans le « monde d’après » des cadres de Dassault descendre de la Palombe Bleue à la gare d’Austerlitz, les yeux ensablés ? Le chantage à l’emploi promet d’être un argument d’un tout autre poids.