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Cinéaste, je suis accusé de « rébellion » parce que je filme des ouvriers en lutte
Article mis en ligne le 13 novembre 2017

Alors qu’il filmait la lutte des salariés creusois de l’équipementier GM&S, le réalisateur Lech Kowalsky a été arrêté et a passé une nuit en cellule. Accusé de « rébellion », il sera présenté au procureur de Guéret le 15 novembre. Il le raconte dans cette tribune.

Le 20 septembre dernier, j’ai été arrêté alors que je filmais les salariés de l’usine GM&S en lutte qui occupaient alors la préfecture de Guéret, une petite ville de la Creuse, en France, à des centaines de kilomètres de Paris, du pouvoir centralisé. J’ai été arrêté par des gendarmes, une force policière composée de personnels militaires et placée sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur.

Mon arrestation n’a pas été réalisée lors de mon évacuation mais une heure plus tard, par des policiers dirigés par le directeur départemental de la sécurité publique en personne. (...)

Au moment où on m’a fait entrer à l’arrière d’une voiture de police, j’ai vu un gendarme empêcher un cameraman d’une grande chaîne de télévision française de filmer. Je suis vite arrivé au poste de police, mais pendant le trajet, un des policiers m’a arraché ma caméra des mains. Au poste, j’ai raconté comment s’était déroulée mon arrestation et ma déposition a été officiellement enregistrée. Des agents ont pris mes affaires personnelles, m’ont posé des questions relatives à mon identité et ont fouillé mes poches et mon portefeuille. On m’a retiré les cordons de mes vêtements et j’ai aussi dû enlever mes chaussures.
On a aussi prélevé mon ADN

La pièce dans laquelle j’ai passé la nuit mesure 2,5 m sur 1,5 m. Un des murs, comme la porte, est en plexiglas épais. Des graffitis, des traces de crachats, de morve, de sang séché couvrent les autres murs peints en jaune insipide. Un des murs est flanqué d’un banc en bois. Des toilettes turques dans un coin — en clair : un trou dans le sol — en plein champ d’une caméra surélevée, hors d’atteinte et pourtant protégée dans une boîte en plexiglas. Un policier m’a dit que tout ce que je faisais était surveillé.
Juste au-dessus des toilettes, un lavabo. Pas de papier toilette. On m’a donné une couverture rêche, du jus et un repas froid passé au four à micro-ondes. Une lampe halogène éclairait vivement la pièce en permanence.
Après une nuit sans sommeil, on m’a mesuré, on m’a pris mes empreintes et on a photographié mon visage, mon corps et mon tatouage. On a aussi prélevé mon ADN. J’ai demandé pourquoi ; l’une des deux fonctionnaires de police chargées de ce prélèvement m’a répondu que c’était « obligatoire ».
Suis-je un criminel ?
Plein de gens dans le monde souffrent de torts et d’humiliations bien plus grandes que celles que je viens de décrire. Mais je me dois de souligner que ces actions procédurales — la prise d’empreintes, les photos, le prélèvement d’ADN — ont été pratiquées avant même que je puisse plaider ma cause en justice. J’ai aussi appris par mon avocat que ces pratiques — le prélèvement d’ADN et le fait de garder cette donnée dans un fichier national — étaient remises en question par la Cour européenne des droits de l’homme et que la France était sommée de les justifier par celle-ci.
Au lieu de « foutre le bordel », ils feraient mieux de chercher du travail

L’infraction qui m’est reprochée a pour nom « rébellion ». Le 15 novembre prochain, je serai traduit devant le procureur de Guéret qui me demandera de reconnaitre ma culpabilité et d’accepter une peine pour une infraction que je n’ai pas commise. Il y a quelques jours, mon avocat m’a fait part des charges déposées contre moi. J’ai été choqué par les inexactitudes décrites par les gendarmes sur ce qui s’est passé avant, pendant et après mon arrestation. J’ai appris que la peine maximale encourue pour cette infraction était une amende pouvant aller jusqu’à 35.000 euros, et deux ans de prison.
J’ai aussi découvert, dans le dossier pénal, que le directeur départemental de la sécurité publique de la Creuse mettait en cause un cameraman de France 2, l’accusant d’exciter les manifestants. (...)

Dans le monde entier, les gouvernements sont incapables de gérer les problèmes sociaux abyssaux qui résultent de l’impact incroyable des multinationales sur nos vies. Pour moi, c’est très clair : nous, citoyens, avons perdu toute illusion de vivre en démocratie. Où sont les gouvernements, aujourd’hui, alors que les peuples ont besoin d’eux comme jamais ? Je filme la lutte des salariés de GM&S pour soulever ces questions [1]. C’est pour ça que j’ai été arrêté. Les oligarchies ont peur de mes images. J’ai été arrêté parce que je suis un cinéaste indépendant qui filme la réalité du monde qui l’entoure.