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Chypre : une exception ?
/Philippe Légé
Article mis en ligne le 3 avril 2013
dernière modification le 31 mars 2013

Une petite économie ne représentant que 0,2% du PIB de la zone euro et ayant adopté la monnaie unique il y a seulement cinq ans vient d’être le théâtre d’un tournant majeur de la crise européenne. A Chypre, la concurrence fiscale et la libre circulation des capitaux viennent sous nos yeux d’engendrer leur contraire, la taxation et le contrôle.

(...) Un tel processus n’a rien d’extraordinaire. « Qu’un phénomène détruise à la longue le facteur qui en est la cause, ce résultat ne peut être une absurdité que pour l’usurier hypnotisé par le taux élevé de l’intérêt. La grandeur des Romains fut la cause de leurs conquêtes et leurs conquêtes provoquèrent la décadence de leur grandeur. La richesse est la cause du luxe et le luxe a une action dissolvante sur la richesse » (K. Marx, Le Capital, III). Aujourd’hui, Wolfgang Schaüble, prétend que « Chypre est et restera un cas exceptionnel ». Il est urgent de populariser l’exception que le ministre allemand des Finances tente d’exorciser. (...)

Chypre et ses banques

Chypre est un paradis fiscal. Le taux d’imposition des sociétés y est le plus faible d’Europe et les formalités administratives y sont très légères. Dans cette île prolifèrent des sociétés écrans servant au blanchiment d’argent. On y trouve aussi de riches capitalistes grecs et russes qui ne sont pas nécessairement mafieux. Ayant ainsi bénéficié d’afflux de capitaux colossaux, le secteur bancaire chypriote a vu ses actifs croître jusqu’à représenter huit fois le PIB du pays.

Or, en juin 2012 le gouvernement chypriote a demandé un prêt de l’Union Européenne et de du FMI. L’objectif était double : financer le déficit public à un taux d’intérêt inférieur à celui pratiqué sur le marché secondaire et recapitaliser les banques locales au bord de la faillite. Ces dernières avaient accordé des crédits à des entreprises qui, du fait de la récession, ne pouvaient plus rembourser. Les banques chypriotes avaient en outre subi des pertes importantes sur les titres souverains grecs qu’elles avaient achetés. En 2012, ces titres ont en effet fait l’objet d’une décote dans le cadre d’un plan d’échange de titres qui avait été décidé au sommet européen de juillet 2011. En clair, les banques chypriotes ont dû troquer leurs obligations publiques grecques contre des titres plus sûrs mais à valeur beaucoup plus faible et de durée plus longue. Elles y ont perdu environ 4,5 milliards d’euros. Pour compliquer le tout, les banques chypriotes détiennent une grande partie des titres de la dette publique chypriote. Dans ces conditions, le prêt de 2,5 milliards accordé à Chypre par la Russie en 2011 ne suffisait plus.

Les créanciers des banques sont les déposants

L’Islande est un autre exemple de petit pays dont le secteur bancaire était hypertrophié. Mais, comme l’explique Richard Milne dans le Financial Times du 21 mars 2013, « à la différence de l’Islande où les banques avaient émis beaucoup de titres, les prêts chypriotes sont presqu’entièrement couverts par les dépôts ».

Cette différence essentielle a une première implication économique. (...)

Il y a d’excellentes raisons à vouloir taxer ou socialiser les banques mais relier de telles revendications à la crise chypriote est très maladroit. (...)

Finalement, le plan du 25 mars organise la faillite de la deuxième banque du pays, Laiki, et la taxation des seuls dépôts supérieurs à 100 000 euros (le taux serait « d’environ 30% » pour les clients du plus grand établissement du pays, Bank of Cyprus). Les actionnaires et créanciers de Laiki ne reverront pas leur capital. Les gros clients des deux banques verront 37,5% de leurs dépôts convertis en actions. 22,5% supplémentaires seront menacés jusqu’à ce que les autorités sachent si elles parviennent à rassembler 5,8 milliards d’euros. Les 40% restants seront versés sur un compte bloqué pour une durée de 6 mois. Après la réouverture des banques, le contrôle des capitaux – autorisé par l’article 65-B du traité de l’UE pour « des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique » - est maintenu.

Un bon principe : les dettes privées ne sont pas transférées à l’Etat

Ce volet bancaire est bon car il fait payer les plus riches déposants plutôt que de socialiser les pertes. Si les autorités avaient procédé comme en Irlande, la dette publique chypriote serait passée de 87% à 150% du PIB. En outre, la méthode employée pour restructurer le secteur bancaire crée un précédent : on discrimine parmi les épargnants, on contrôle les capitaux, etc. (...)

cette mesure est sans précédent dans la gestion de la crise de l’euro. Comme l’explique Michel Husson, « les institutions européennes légitiment un projet consistant à faire payer la crise à ceux qui ont profité du capitalisme financier ». (...)

Pour le Monde Diplomatique, « l’embarras de certains ministres européens trahissait peut-être leur crainte d’avoir démenti sans le vouloir trente ans d’une ‘pédagogie’ libérale qui a fait de l’impuissance publique une théorie de gouvernement. Ils ont ainsi légitimé d’avance d’autres mesures un peu rudes. Elles pourraient un jour déplaire à l’Allemagne ». Cette dangereuse ruse de l’histoire a bien sûr été perçue par les dirigeants européens. A peine le président de l’Eurogroupe avait-il expliqué que désormais tous les sauvetages bancaires seraient financés par « les actionnaires et les créanciers obligataires » et « si nécessaire, les détenteurs de dépôts non garantis » qu’il a du se rétracter. Benoit Coeuré, de la BCE, a expliqué dès le lendemain que « M. Djisselbloem a eu tort de dire ce qu’il a dit ».

Economiquement, la méthode appliquée à Chypre est susceptible d’engendrer une panique parmi les gros déposants espagnols et italiens et d’accélérer ainsi la fuite des capitaux. Certains économistes craignent donc que ce plan « radical, voire trop » ouvre « la boite de Pandore ». Ce n’est pourtant pas de Pandora qu’Épiméthée devrait se méfier : politiquement, qu’il contribue ou non à l’implosion de l’euro, le volet bancaire est très bon. Il n’en demeure pas moins que le plan d’ensemble est inacceptable parce qu’il contient d’autres volets, purement régressifs, et parce que le processus dont il est issu renforce l’arsenal anti-démocratique déployé pour maintenir la domination du capital des pays du « centre ».

L’austérité, encore et toujours

Au terme de l’accord du 25 mars, la restructuration du secteur bancaire chypriote doit s’accompagner de la signature d’un protocole d’accord avec la troïka (UE, BCE et FMI) prévoyant une hausse de l’impôt sur les sociétés à 12,5% et un doublement du taux d’imposition des intérêts bancaires. Cela va dans le bon sens même si la première mesure demeure très timide. Mais ce protocole contiendra aussi des réformes structurelles libérales privatisant le patrimoine public, rognant la protection sociale et les salaires des fonctionnaires. (...)

Comme l’explique un des Economistes Atterrés, « autant on peut approuver le volet bancaire, autant on peut regretter le retour de cette troïka profondément antidémocratique, qui décide à la place des peuples, impose un tournant libéral, lutte contre la protection sociale ». (...)

Ce plan résulte d’un coup de force de la BCE. Il est légitime qu’un gouvernement ferme les banques si besoin mais il est scandaleux que la BCE exerce un chantage sur celui-ci (...)

La BCE a ainsi « gravé dans le marbre la division au sein de la zone euro entre deux catégories de membres. Ceux qui ont un parlement que l’on doit écouter et dont on doit prendre en compte les décisions, et ceux qui ont un parlement que l’on doit faire taire  » (La Tribune, suite) (...)

En revanche, il est clair que tout gouvernement de transformation sociale, quelle que soit la taille de son économie, serait confronté aux menaces de rétorsion qui ont été employées à l’encontre du gouvernement chypriote. Il ne suffit pas d’affirmer « qu’aucune décision ne peut être prise sans la France » pour évacuer le problème. Ni d’agiter la perspective de la sortie de l’euro, ce qui est parfaitement contreproductif en raison du risque de légitimation des nationalismes mais aussi de celui d’exposition à des mesures de rétorsions économiques plus graves encore qu’au sein de l’euro. (...)