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Chez les futurs riches : les gens que j’ai vus à HEC Paris
Article mis en ligne le 6 juin 2016

Ça remonte aujourd’hui à trois ans. Ma compagne d’époque venait juste d’être reçue dans l’une des écoles de commerce les plus réputées du monde, et la première de France. HEC Paris, la célèbre école des Hautes études commerciales, plantée à Jouy-en-Josas, Yvelines, dans la chic banlieue sud-ouest de la capitale. Je ne me doutais pas un seul instant de la tournure qu’allait prendre cette liaison.

(...) Ils étaient environ 5 220 au départ, plus que 700 admissibles à l’oral. Ils viennent de vivre deux années pleines de révisions et de longues heures passées à la BU, mis à l’écart de la moindre lumière de sociabilité. Aujourd’hui, ces deux années ont pris fin. Ils entrent dans le grand bain. (...)

Plus je les connais, plus je comprends les élèves d’HEC. À travers leurs yeux, j’entrevois le monde tel qu’ils se l’imaginent. Ils l’envisagent comme un petit enfer uniquement peuplé de crétins. Ce qui ne les empêche pas d’aimer des trucs très « de gauche », genre écouter du Renaud. Et plus le temps passe à l’école, plus ils se calquent sur cette pensée. Ils échafaudent intérieurement une sorte d’organigramme du monde, dans lequel ce sont eux qui le dirigent.

Mais ce qui m’a le plus interpellé, je dirais que c’est leur manque manifeste de culture générale. (...)

Il s’agit bien sûr d’un environnement de droite, ardemment libéral. Les rares personnes qui arrivent à HEC avec des idées un tant soit peu socialistes, changent vite de ton. À ce niveau-là, les élèves sont la copie conforme de leur caricature. Ils portent des polos ou des chemises Ralph Lauren, ont les cheveux mi-longs et les plus favorisés portent une Rolex. La grande majorité est issue de bonne famille, mais pas tous, comme ma copine – loin de là. D’ailleurs pour ceux qui sortent de la plèbe, la rumeur le fait vite savoir à qui de droit. (...)

Je poursuis ma découverte sociologique via les soirées POW. Elles ont lieu au même endroit, je ne note aucune différence entre elles si ce n’est les costumes ou les diverses avancées dans l’excès. C’est sans doute dû aux vacances de Noël qui approchent, et à l’excitation des participants. On y croise des gens d’HEC évidemment, mais aussi des personnes issues d’autres écoles de commerce parisiennes – ESSEC, ISC – ou des amis d’étudiants d’HEC.

Dans l’une d’elle, je m’amuse autant que possible avec ma copine mais aussi avec ses amies, qui grâce à la boisson, oubliaient que je n’avais pas la carte. Je ne sais pas encore que cette soirée restera dans les annales du campus ; elle se clôturera en effet avec plusieurs blessés, dont le petit-fils d’un ancien Premier ministre dont je tairai le nom : le pauvre petit écope d’une plaie a la tête d’environ six centimètres après une mauvaise chute. Plusieurs comas éthyliques, une entorse de la cheville, une blessure au bas-ventre, mais surtout, une sinistre « déchirure vaginale ». Ce soir-là, les pompiers ont prévenu les forces de l’ordre en vue d’une possible intervention dans la salle, que les blessés ont poliment refusée. À a suite de cette escarmouche, le commissariat de Vélizy a ouvert une enquête sur les POW, qui sera vite oubliée.

En soirée, les conversations tournent autour des thèmes ô combien distrayants du sexe et de la bière. (...)

Ma copine m’a rapporté que, « dès le lendemain matin, les mecs apportent des détails sur le tout et n’importe quoi de la veille », provoquant de tristes réputations sur le long terme parmi certains élèves et alimentant le très visité site des ragots d’HEC, sortievauhallan.com.

Les semaines ont passé et ma copine, finalement, m’a largué. Je vous épargnerai les détails puisque ce n’est pas le sujet, mais c’est de cette façon que j’ai perdu de vue nos petits génies. J’imagine que trois ans plus tard, certains d’entre eux sont entrés de plain-pied dans la vie active, et occupent en conséquence des postes à responsabilité. J’imagine qu’à quelque vingt-cinq kilomètres de Paris, cet enclos pour fils de riches poursuit son inéluctable routine. La machine continue de produire des cadres supérieurs, des managers de firmes, et ceux qui, d’ici vingt ans, appartiendront peut-être à ce que Jacques Attali nomme l’hyper-classe.

Concernant la fille victime de déchirure vaginale, je sais qu’elle est restée pas mal de temps hospitalisée. En discutant de cet épisode avec les autres élèves, outre les blagues évidentes, je m’attendais tout de même à ce qu’ils manifestent un peu de compassion à son égard ; c’était leur camarade. Elle était de leur monde, après tout. J’ai eu la surprise de ne tomber que sur des moqueries très méchantes, au cours desquelles on m’a fait savoir que cette fille était devenue la risée de l’école et la victime de blagues émises à voix haute sur sa capacité désormais légendaire à, je cite, « encaisser les coups ».

En un mot comme en cent : dirigez maintenant.