
Les décisions annoncées par le gouvernement sur l’avenir du nucléaire en France alors que le débat public est encore en cours interrogent sur l’utilité de ce dernier. Pour Chantal Jouanno, « les jeux ne sont pas faits ».
Ancienne présidente de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, secrétaire d’État chargée de l’Écologie et ministre des Sports de François Fillon ainsi que sénatrice de Paris, Chantal Jouanno dirige depuis 2018 la Commission nationale du débat public.
(...) Chantal Jouanno — Ce projet de loi accélère les procédures, mais n’emporte en rien la décision de construire ou pas de nouveau réacteurs. Le débat public, lui, met en débat l’opportunité de faire ou pas de nouveaux EPR. (...)
si l’on s’en tient à la stricte interprétation juridique, la loi sur l’accélération du nucléaire ne dit rien de l’opportunité du projet, contrairement à ce qui a pu se faire par le passé. Par exemple, quand il y a eu en 2005 le débat public sur l’EPR de Flamanville, le gouvernement avait fait voter en même temps le principe même de la construction de l’EPR. Là, heureusement, ils n’ont pas fait ça… (...)
Dans le jeu parlementaire, il y a l’Assemblée nationale. Au final, il faudra un accord entre les deux assemblées. Or, les jeux sont ouverts entre les deux assemblées. Le débat public n’a malheureusement pas plus de pouvoir que celui d’éclairer les décisions. (...)
Il y a un débat général sur l’opportunité de faire ou pas du nucléaire avec une évolution de l’opinion qui est un peu plus favorable. Mais au moment où on va lancer les chantiers, on ne sait pas quel sera l’état de l’opinion sur le principe même du nucléaire. Le deuxième élément qui ressort des débats, c’est une interrogation sur la faisabilité du projet : est-ce que l’EPR, ça marche ? Va-t-on être en capacité de faire, de financer les EPR2, aura-t-on les capacités industrielles et les compétences requises ? Des personnes disent aussi qu’on peut se passer du nucléaire avec du renouvelable. (...)
Autre chose : dans les précédents débats, il y avait assez peu de participation, sans doute parce que les gens considéraient que tout était joué. Là, il y a beaucoup de participation et surtout on a des expressions très ouvertes, on a autour de la table des très pour et des très contre. (...)
Dans une démocratie, il est normal qu’il y ait des points de vue divergents, il faut les reconnaître. Il n’y a pas de consensus sur le nucléaire, pas de consensus sur les EPR, et même s’il y a des opinions plus favorables en ce moment, ce peut être des évolutions conjoncturelles qui ne veulent rien dire de l’avenir. (...)
Il y a aussi le sujet majeur du financement : en raison de frais financiers plus lourds sur l’investissement nucléaire, les sources renouvelables sont beaucoup plus intéressantes que les EPR. Il y a aussi des arguments territoriaux (...)
Donc tous ces sujets vont être documentés, révélés, mis sur la table. On voudrait présenter les conclusions du débat devant le Sénat et devant l’Assemblée nationale, afin que les parlementaires puissent se saisir de tout ce qui a été dit parce qu’il y a des sujets lourds, qui vont demander des réponses très politiques. (...)
Vous allez quitter la présidence de la CNDP. Quel est son avenir ?
L’institution devrait grossir, c’est-à-dire qu’on devrait reconnaître la place de la démocratie participative, et qu’on lui ouvre de nouveaux champs hors de l’environnement. Je suis arrivée dans une institution qui se pensait comme une organisatrice de débat public. En fait, elle est devenue la garante d’un droit du public. Est-ce qu’on la marie avec le Défenseur des droits ? Est-ce qu’on en fait une super institution de la participation du public ? Plein de voies qui s’ouvrent.