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« Chacun sait »... rien (ou les ravages de la rhétorique)
Philippe Huneman, Vendredi 17 septembre 2010
Article mis en ligne le 20 septembre 2010
dernière modification le 19 septembre 2010

Les « vérités » assénées par Frédéric Lefebvre ou Nadine Morano concentrent la rhétorique de l’avant-garde droitière française, celle qui, malheureusement, risque de dessiner la cartographie des débats si on ne la démonte pas auparavant...

chacun sait qu’il y a un lien entre pauvreté et délinquance, entre immigration et pauvreté, mais aussi entre richesse et pouvoir, pouvoir et corruption, corruption et vice, pédophilie et homosexualité, enfants battus et parents violents, Thaïlande et prostitution, entre noirs et sport ou danse, juifs et commerce ou science, etc. Tous énoncés pour lesquels on n’aura pas de mal à trouver un fait singulier à mettre à son appui –par exemple toutes les « affaires » nommées par des noms propres (Polanski, Bettencourt, Mitterrand, etc.)– et qui souvent autorisent de faire étalage à peu de frais d’un supposé savoir.

Tout fait peut se voir opposer un autre fait : il y a des Tsiganes mendiants, et Django Reinhardt ; des ministres escrocs, et Pierre Mendès France…

...Désigner un simple lien, finalement, ne dit rien –il y a un lien entre parapluies et machines à coudre puisqu’ils apparaissent dans le même fameux poème de Lautréamont. Il y a un « lien » entre tout et n’importe quoi, si bien qu’invoquer un lien sans dire lequel, c’est se revendiquer de la pure préférence subjective....

...Pour Morano, cette préférence renvoie visiblement à son propre vécu : elle a « vu » des enfants drogués par leurs parents gitans. (Mais au fait, qu’eût-elle dit si elle avait vu des ministres voleurs ?) Or s’il existe quelque chose comme un savoir, c’est que l’on ne s’en tient pas au vécu. On le replace dans un contexte, on l’inscrit dans un ordre de causes. Toute politique doit au moins prendre en compte cette connaissance, et ne pas simplement invoquer un vécu, au titre qu’il pourrait être partagé par beaucoup –et donc donner lieu à ce « chacun sait, pour l’avoir vu autour de soi... » qui fonde la démagogie. De tels propos augurent d’une ère où il faudra s’habituer à entendre nos responsables politiques se fonder sur leurs états d’âme pour légiférer....

...Il y a 30 ans, Michel Foucault avança dans Surveiller et Punir l’hypothèse que l’invention même –au siècle dernier– de la délinquance comme catégorie juridico-psychologique, et celle des moyens de son traitement pénal-policier, visaient à gérer les classes dominées et simultanément protéger et dissimuler les « illégalismes » que commettent certains individus des classes dirigeantes (fraudes fiscales, corruption, etc.), lesquelles se situent sur une autre échelle financière. Et il est vrai que ces « illégalismes » ne rentrent pas dans les connotations que suscitent le mot « délinquance » ...