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Mediapart
Certains parquets créent des fichiers sauvages de manifestants gardés à vue
#manifestations #gardeavue #fichage
Article mis en ligne le 7 mai 2023
dernière modification le 6 mai 2023

En marge des manifestations contre la réforme des retraites, au moins deux procureurs en poste dans de grandes villes ont constitué des fichiers de manifestants gardés à vue, cela sans aucune base légale. Les défenseurs des libertés s’inquiètent de l’usage qui pourrait en être fait.

Le cadre normal pour les remontées d’informations des parquets est le suivant. Le logiciel Sphinx du ministère de la justice sert à compiler le nombre de gardes à vue, les infractions pénales retenues et les suites pénales décidées. Mais il s’agit là uniquement de statistiques, qui sont adressées par chaque parquet de tribunal judiciaire au parquet général de la cour d’appel dont il dépend, puis transmises au ministère de la justice via la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG). Elles ne comportent aucune information sur l’identité des personnes placées en garde à vue, à la différence notable du Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ), le fichier géant utilisé par les services de police et de gendarmerie, objet de nombreuses critiques.

En théorie, seules les affaires dites « signalées », c’est-à-dire sensibles politiquement, économiquement ou médiatiquement, font l’objet de rapports nominatifs qui remontent à la haute hiérarchie judiciaire et à la Chancellerie.

En pleine contestation contre la réforme des retraites, dans une dépêche envoyée le 18 mars aux procureurs généraux, le ministre de la justice Éric Dupond-Moretti a joué la fermeté, en demandant « une réponse pénale systématique et rapide » contre des personnes interpellées en marge des manifestations. La Chancellerie étant par ailleurs gourmande en statistiques, les parquets généraux commandent de plus en plus de rapports et de statistiques aux parquets qu’ils chapeautent. De là à imaginer que certains hauts magistrats du parquet fassent du zèle, il n’y a qu’un pas.

Selon nos informations, le recours aux tableaux Excel dans certains parquets a démarré mi-mars, quand Emmanuel Macron et Élisabeth Borne ont déclenché le 49-3 pour faire adopter la réforme des retraites sans vote de l’Assemblée, et que les manifestations sont devenues plus tendues. (...)

Au Syndicat de la magistrature (SM), qui réclame de longue date la fin des rapports sur les dossiers individuels signalés, on se montre vigilant. « La remontée d’informations devrait se limiter à de simples rapports généraux permettant d’évaluer l’application de la politique pénale », déclare Thibaut Spriet, membre du bureau national du SM, sollicité par Mediapart.

« Nous constatons néanmoins que la pratique suit actuellement une tout autre tendance et multiplie les cas de remontées d’informations individuelles demandées par les procureurs et procureurs généraux, bien au-delà des dossiers individuels signalés, poursuit Thibaut Spriet. Cela conduit d’ailleurs à une surcharge de travail non négligeable pour les magistrats du parquet, sans aucun intérêt pour l’institution judiciaire. »

L’affaire des tableaux Excel est également prise au sérieux par La Quadrature du Net. « Pour créer un fichier de police, il faut un décret, expose la juriste Noémie Levain, sollicitée par Mediapart. (...)

La Quadrature du Net a d’ailleurs récemment déposé une plainte auprès de la Cnil pour l’obliger à effectuer un contrôle en bonne et due forme du TAJ.

« Avec des tableaux Excel de gardés à vue, on parle d’un fichier qui contient des données personnelles, sans aucune base légale. C’est une perte de repères totale. Pour quel usage ? On ne le sait pas. Pourquoi doublonner avec ce que la police fait déjà ?, demande Noémie Levain. D’autres pays européens font beaucoup plus attention que la France aux données personnelles. »

La Ligue des droits de l’homme (LDH) se montre tout aussi inquiète. (...)

Le Syndicat des avocats de France (SAF) est lui aussi préoccupé par l’affaire des tableaux Excel. (...)

Questionnée à plusieurs reprises par Mediapart, la procureure de la République de Lille, Carole Étienne, n’a pas donné suite. Également contacté, son supérieur hiérarchique, le procureur général près la cour d’appel de Douai, Frédéric Fèvre, n’a pas souhaité s’exprimer.

Quant au ministère de la justice, questionné par Mediapart, il évoque seulement des initiatives locales (...)