
Depuis quelques semaines, en particulier depuis qu’Edouard Philippe a décidé de bannir l’écriture inclusive des textes officiels (celle-ci n’y était pas encore présente mais un coup de com pour rassurer une partie de l’électorat ne fait jamais de mal doit se dire le locataire de Matignon), ladite écriture inclusive est en bonne place dans les débats qui agitent la société française. La publication d’un appel par plus de 300 professeur.es contre la règle « le masculin l’emporte sur le féminin » est récemment venu abonder le débat puisque la raison d’existence de l’écriture inclusive est précisément de lutter contre la domination du genre masculin sur le genre féminin.
Il est assez symbolique de voir à quel point ce débat enflamme les discussions – alors même que certain.es expliquent que ce combat est une lutte d’arrière-garde. En regard de ces débats enflammés et, osons le mot, souvent violents, il nous faut, je crois, tenter de comprendre les raisons d’une telle violence dans les réactions des personnes opposées à l’écriture inclusive. Si les réactions sont si vives, c’est, me semble-t-il, précisément parce qu’un point sensible a été touché. Ce torrent de haine que nous pouvons lire ci et là à l’égard de celles et ceux qui défendent l’écriture inclusive est révélateur à mes yeux un élément qui existe en soi mais qui se dépasse lui-même pour nous dire quelque chose de la société dans laquelle nous vivons.
Le langage est politique
Avant toute chose, il me parait primordial de revenir sur l’importance que revêt à mes yeux l’écriture inclusive. Je suis en effet de ceux qui considèrent que c’est un combat qui doit être mené quand bien même il y aurait des choses à améliorer. Le postulat de beaucoup est de dire que le langage est axiologiquement neutre, qu’il n’est qu’un outil parmi d’autres n’ayant aucune incidence politique, qu’un medium. Pourtant, de Saussure et son Cours de linguistique générale aux linguistes d’aujourd’hui, nombreux sont les spécialistes du langage à avoir expliqué que celui-ci n’était absolument pas neutre et en aucun cas un simple outil. Dès lors, l’avènement de tel ou tel type de langage, loin de n’être qu’un artifice, contribue grandement à structurer la pensée commune.
« Le but du novlangue, écrit d’ailleurs Orwell dans l’appendice de 1984, était, non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales des dévots de l’angsoc, mais de rendre impossible tout autre mode de pensée ». En ce sens, le langage participe à structurer la pensée, pas simplement à la mettre en mot. Parler de « travailleurs » plutôt que de « salariés » est politique tout comme choisir d’utiliser le mot « cotisations » plutôt que « charges sociales ». En cela, l’écriture inclusive se donne pour objectif de combattre un état de fait qui rend le masculin supérieur au féminin, ce qui est un choix totalement arbitraire et politique. Peut alors se poser la question de l’esthétisme d’une telle écriture (elle est légitime selon moi) mais reprocher à l’écriture inclusive de détruire la langue c’est lui reprocher sa raison d’être qui est de participer à la destruction du patriarcat de notre société.
Lutter sur tous les fronts (...)
Le patriarcat, tout comme le capitalisme, sont des systèmes puissants et institués depuis des siècles. La seule stratégie capable de les faire vaciller selon moi est assurément l’attaque par plusieurs fronts et la violence symbolique, seule à même de leur faire peur. Aussi considéré-je que l’écriture inclusive a pleinement sa place dans cette lutte globale contre le patriarcat. Pablo Iglesias, le leader de Podemos, a coutume de dire qu’il y a plus de portée révolutionnaire dans le fait qu’un homme fasse la vaisselle dans son domicile que dans bien des mesures prises par les politiciens. Il en va de même de l’écriture inclusive à mes yeux.
L’apocalypse machiste
Ce qu’il y a de très intéressant dans le débat qui agite la société française depuis quelques semaines est précisément que nous assistons à une forme d’apocalypse au sens grec du terme, une révélation. Du hashtag #balancetonporc à la défense de l’écriture inclusive, il y a comme un fil d’Ariane de la révélation machiste dans ce pays. On peut bien sur trouver que l’écriture inclusive est inesthétique et être contre celle-ci, là n’est pas la question. (...)
le but final n’est pas tant d’imposer l’écriture inclusive que de mettre en place une langue où le genre masculin ne l’emporterait plus sur le genre féminin. Dans cette optique, la règle du nom le plus proche pour effectuer l’accord pourrait être une solution face au problème de l’esthétisme posé par l’écriture inclusive. De la même manière, féminiser systématiquement les noms de postes est une piste à explorer. Quoiqu’il en soit, le combat ne fait que commencer et la route sera assurément longue mais le langage ne saurait être oublié. « Ma patrie, c’est la langue française » disait Albert Camus en plein milieu de la guerre d’Algérie. Faisons que cette patrie porte haut les couleurs de l’égalité.