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Non-fiction
Ce que les biotechnologies font à l’éthique
Couverture ouvrage L’avenir de la nature humaine : Vers un eugénisme libéral ? Jürgen Habermas Éditeur : Gallimard
Article mis en ligne le 21 octobre 2015
dernière modification le 16 octobre 2015

Qu’il s’agisse de l’avortement, de la fécondation in vitro, de la recherche sur les cellules souches ou de l’intervention sur le génome humain, interviennent pléthore de politiciens, de religieux, de scientifiques, voire d’intervenants qui agrémentent la polémique de leurs seules opinions plus ou moins étayées. Et dans ce capharnaüm médiatique, d’aucuns ne soulignent assez la révolution que nous vivons : « Après les blessures narcissiques que nous ont infligé Copernic et Darwin en détruisant, l’un, notre image géocentrique du monde, l’autre, notre image anthropologique, peut-être accompagnerons-nous avec une plus grande quiétude cette troisième décentration de notre image du monde – la soumission du corps vivant et de la vie à la biotechnologie » . C’est simplement avec un « peut-être » à la fois enthousiaste et circonspect, que Jürgen Habermas s’attèle à penser les questions éthiques que soulèvent les biotechnologies.

Mnterrogation éthique des biotechnologies

Mais plutôt qu’opter pour une morale qui place la philosophie en concurrence avec la religion ou un autre système de pensées, Habermas recourt au concept de « pouvoir-être-soi-même » de Kierkegaard. Ce précurseur de l’existentialisme estimait que l’éthique repose dans cet effort individuel pour une autoréflexion par laquelle l’être humain « s’approprie par l’autocritique de son passé, sa biographique, telle qu’il peut se la remémorer concrètement et telle qu’elle a été dans les faits, et ce à la lumière des possibilités futures » . Reprenant cette pensée postmétaphysique, Habermas cherche ainsi à respecter la pluralité des visions du monde. Mais davantage que des croyances, il constate que la biotechnologie attente aux relations sociales les plus communes. En effet, « à travers la décision irréversible que constitue l’intervention d’une personne dans l’équipement « naturel » d’une autre personne, naît une forme de relation interpersonnelle jusqu’ici inconnue » . Toute la problématique étant que les choix opérés sur l’être futur ne lui sont pas mémoriels, ce qui ne lui permet ni de se les approprier ni de les réviser comme il en ferait – par exemple – pour son éducation. La chosification atteint l’être humain avant même qu’il naisse. Dans ce contexte, il n’y a aucune place pour une autoréflexion éthique.

Plutôt qu’accuser la science de tous les maux, le philosophe dénonce une certaine perception de la modernité. Cette dernière se fonde sur ce que l’auteur dénomme un « eugénisme libéral ». Suspectant à demi-mots l’industrie de la santé de l’avoir encouragé, Habermas estime qu’il « ne reconnaît pas de frontière entre les interventions thérapeutiques et les interventions à des fins d’amélioration, mais laisse aux préférences individuelles des acteurs du marché le choix des finalités qui président aux interventions destinées à modifier les caractéristiques génétiques » . Finalement, les individus se retrouvent en position de consommateurs, censés faire un choix rationnel sur des critères difficilement déterminables comme ceux des facteurs héréditaires désirables ou indésirables. C’est là associer un darwinisme d’un autre temps avec un néolibéralisme qui est lui bien contemporain.

Pour « un droit à un héritage non manipulé » (...)

’enjeu est donc de trouver un équilibre entre le choix individuel et l’horizon des possibles qu’offre la science. Sinon, l’eugénisme libéral conduira irrémédiablement à asservir les futurs êtres humains par la volonté de leurs ascendants. Comme le résume fort bien Habermas, l’eugénisme libéral établit une relation asymétrique entre les générations : « cette liberté eugénique des parents est soumise à une réserve : elle ne doit pas entre en conflit avec la liberté éthique des enfants » . Le philosophe plaide donc pour restreindre les manipulations génétiques irréversibles et unilatérales, au sens où elles altèrent insidieusement l’existence de ceux qui vont naître sans qu’ils n’aient la possibilité de se réapproprier leur biographie. (...)