
L’Europe a-t-elle sacrifié son indépendance en se tournant vers la Chine pour sauver la zone euro, comme l’ont affirmé aussi bien François Hollande que François Bayrou ou Daniel Cohn-Bendit ? La question mérite d’être posée en termes moins simplistes.
(...) Les conclusions du sommet signalent le renversement du rapport de force mondial : la vieille Europe, berceau de l’industrialisation et des empires coloniaux, appelle désormais à la rescousse les « émergents », c’est-à-dire l’ancien monde colonisé (Inde, Brésil, Chine...) pour sauver ses économies.
Le prix à payer pour l’Europe : un rapport de force moins favorable face à la nouvelle puissance chinoise, dans les dossiers qui fâchent : importations chinoises ou conceptions divergentes de la gouvernance du monde (comme l’a montré le récent veto chinois et russe sur la Syrie au Conseil de sécurité de l’ONU). (...)
la Chine a financé le déficit américain, comme le Japon l’avait fait avant elle, et s’est retrouvé sans recours lorsque la crise des « subprimes » a frappé en 2008, et menacé tout l’édifice de l’économie américaine.
La Chine n’investira pas dans les mêmes conditions pour renflouer l’Europe : elle exigera un maximum de garanties sur la réduction de la dette des pays de la zone euro, et sur la réduction des déficits.
Ironiquement, Pékin a créé sa propre agence de notation, qui a déjà privé en 2010 la France de son mythique AAA...
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C’est un fait méconnu en Europe, mais le pouvoir chinois doit faire face à une surenchère nationaliste, interne mais aussi extérieure au parti communiste, qui a lancé de vives critiques contre l’équipe dirigeante pour avoir investi en bons du trésor américains.
Très active sur le Web, cette aile nationaliste considère que la Chine doit utiliser ses ressources à régler ses problèmes de développement, plutôt qu’à financer le déficit des Américains, a fortiori celui des Européens sans enjeu stratégique. (...)
Si la Chine est prête à participer avec modération au plan européen de sauvetage de la zone euro, c’est évidemment afin de sauver le premier marché au monde pour ses produits. Mais c’est aussi pour ouvrir plus grand la porte à ses investissements. (...)
Avec l’accord de Bruxelles, la « diplomatie du carnet de chèques » chinois pourra se déployer sans entraves dans une Europe affaiblie et ouverte.
Les optimistes y verront une nouvelle étape de la mondialisation dans laquelle la Chine prendra toute sa place de grande puissance sans pour autant viser l’hégémonie. Les pessimistes, nombreux, y verront la fin de la capacité de l’Europe de peser sur un monde dans lequel elle représente pourtant l’un des pôles majeurs.