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Capitalisme, emploi et nature : sortir de l’engrenage destructif
« Le monde possède le rêve d’une chose dont il lui suffirait de prendre conscience pour la posséder réellement » ( Karl Marx, lettre à Arnold Ruge)
Article mis en ligne le 22 avril 2016
dernière modification le 17 avril 2016

Il y a plusieurs définitions possibles du capitalisme. Du point de vue des exploité-e-s, le capitalisme est ce système dans lequel les ressources de la terre nourricière sont monopolisées par une minorité qui possède aussi les autres moyens de production. Du coup, pour vivre, la majorité n’a d’autre moyen que de vendre sa force de travail – pas d’autre moyen que de se vendre, en fait. Elle est donc complètement dépendante des propriétaires, aliénée de la production de son existence, c’est-à-dire en fin de compte aliénée de son humanité

Les propriétaires achètent la force de travail –ou pas- pour un temps déterminé, en échange d’un salaire. En apparence, la transaction est juste… sauf que la valeur de la force de travail (le salaire) est inférieure à celle du travail réalisé. La différence forme le profit. L’efficacité de cette forme d’exploitation du travail est sans précédent historique. En particulier, elle est nettement supérieure à celles du servage et de l’esclavage, deux modes de production dans lesquels l’exploitation était tout à fait transparente et évidente. (...)

Caractéristique du système, l’accumulation de biens de production et de consommation est phénoménale. Elle aussi est sans précédent historique. Son moteur est la concurrence pour le profit : sous peine de mort économique, chaque propriétaire de capital est obligé de chercher constamment à augmenter la productivité du travail exploité, donc à remplacer des travailleur-euse-s par des machines.

Depuis l’invention de la machine à vapeur par James Watt, cette dynamique de mécanisation et d’accumulation n’a fait que s’accentuer. Il ne saurait en être autrement, car tout progrès de la mécanisation réduit la part du travail humain, donc la quantité de valeur créée, donc le taux de profit. Contradiction majeure du capitalisme, la chute tendancielle de ce taux ne peut être compensée que par l’augmentation de la masse des profits, donc par la croissance de la production, d’une part, et par l’accroissement du taux d’exploitation – du travail non payé – d’autre part. Le système se meut donc de lui-même vers la régression sociale et la destruction environnementale.

Le capitalisme, système hors-sol (...)

la situation est gravissime : on a tellement tardé que, pour sauver le climat, il ne suffira plus de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il faudra en plus retirer du gaz carbonique de l’atmosphère. En déduire que le capitalisme s’effondre est un peu rapide. Par contre, la menace d’un capitalisme barbare est bien réelle. (...)

La catastrophe climatique menace l’existence de centaines de millions de gens. Certains en sont conscients et passent à l’action, mais le niveau d’engagement varie fortement selon les groupes sociaux : les paysan-ne-s et les peuples indigènes sont aux premières lignes et les femmes sont particulièrement actives ; les salarié-e-s, d’une manière générale, restent en retrait.

Le monde du travail, enjeu stratégique

Cette attitude des salarié-e-s constitue un handicap énorme : alors que la classe ouvrière pourrait paralyser la machine capitaliste de destruction, et rendre ainsi un service immense à l’humanité et à la nature, elle semble au contraire paralysée par sa place au service de la machine ! L’explication est simple : l’existence des travailleur-euse-s dépend de leur salaire, leur salaire dépend de leur employabilité par le capital, et leur employabilité par le capital dépend de la croissance. (...)

Les paysan-ne-s possèdent leurs moyens de production en tout ou en partie, les peuples indigènes produisent leur existence par une relation directe avec la nature : les travailleur-euse-s n’ont pas de possibilités équivalentes. Il est trop facile, et franchement déplacé, d’en déduire que les salarié-e-s seraient les serviteurs du productivisme. Ils consomment, bien sûr, et les plus avantagés d’entre eux, consomment d’une manière écologiquement insoutenable. Mais est-ce leur faute ? La frénésie consumériste n’est-elle pas plutôt le produit de l’illusion monétaire qui fait que tout semble à la portée de chacun-e ? Ne fonctionne-t-elle pas comme une compensation misérable à la misère des relations humaines dans cette société mercantile ? Beaucoup de salarié-e-s sont conscients et inquiets des menaces écologiques qui planent au-dessus de leurs têtes et de celles de leurs enfants. Beaucoup aspirent à un changement qui leur permettrait de vivre bien, en prenant soin de l’environnement. Mais que faire, et comment faire ? Telle est la question. (...)

A quelques exceptions près, le mouvement syndical a compris la nécessité de se saisir de l’enjeu écologique. La Confédération Syndicale Internationale (CSI) déploie des efforts de conscientisation (...)

Cependant, la question clé de l’emploi est traitée de façon ambiguë. En effet, la CSI croit que le capitalisme vert amènera la croissance et des « emplois verts ». Elle se dit donc prête à collaborer à la transition, à condition que la facture pour le monde du travail soit limitée et qu’une reconversion soit offerte dans les secteurs condamnés. Du coup, la CSI considère comme « verts » des emplois qui ne le sont pas du tout (...)

la CSI croit possible de sauver le climat sans mettre en question la logique productiviste. Pire : elle ne voit pas d’autre moyen que la croissance pour combattre le chômage. (...)

En se mettant à la remorque du capitalisme vert, le mouvement syndical risque d’être le complice de crimes climatiques de grande ampleur, dont les pauvres seront victimes. C’est une autre voie qu’il faudrait prendre. On la perçoit dans les pratiques d’entreprises récupérées, en Argentine et ailleurs. Chez RimaFlow (Milan) ou Fralib (Marseille), les travailleurs en lutte pour l’emploi cherchent spontanément à produire pour les besoins sociaux dans le respect des contraintes écologiques. Certains éléments d’une alternative se trouvent dans les positions du réseau « Trade Unions for Energy Democracy » (TUED), qui plaide notamment pour que le secteur de l’énergie passe aux mains de la collectivité.

Face au capitalisme en crise et au problème climatique, il est illusoire d’espérer vaincre le chômage par un compromis avec la « croissance ». C’est au contraire dans la remise en cause radicale du productivisme – donc du capitalisme- que réside la seule stratégie cohérente pour concilier le social et l’écologique.

Il s’agit de sortir du cadre, sur quatre axes en particulier : la collaboration avec les paysans contre l’agrobusiness et la grande distribution, l’expropriation du secteur financier (très enchevêtré au secteur énergétique), le développement du secteur public (transports en commun, isolation des bâtiments, soins aux écosystèmes…), et la réduction radicale du temps de travail (la demi-journée de travail), sans perte de salaire, avec embauche compensatoire et diminution des cadences.

Au-delà des montagnes d’écrans plats, de smart phones, au-delà des bagnoles high tech et des voyages all inclusive, au-delà de ces hochets qu’on agite pour le distraire de son exploitation, le monde du travail perçoit bien, au fond, que son intérêt fondamental, son avenir et celui de ses enfants, n’est pas de faire tourner l’engrenage destructif du capital, mais au contraire de le briser. La pratique sociale peut seule transformer cette perception diffuse en conscience et en organisation. À l’action !