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Cancer : faut-il imposer un 49-3 à l’industrie pharmaceutique ?
Article mis en ligne le 18 avril 2017
dernière modification le 14 avril 2017

Face à l’augmentation continue du prix des médicaments innovants contre le cancer, le cancérologue Thierry Philip, président du conseil d’administration de l’institut Curie, s’inquiète du fait que la France “ne pourra plus continuer à donner à chaque malade le traitement dont il a besoin”. Soutien de Benoît Hamon pour la présidentielle et maire du 3e arrondissement de Lyon, il appelle l’industrie pharmaceutique à faire preuve d’une plus grande transparence pour éviter que l’État n’impose des licences “d’office” qui permettent d’outrepasser les brevets et de réduire les coûts. Entretien.

Thierry Philip : D’une certaine façon, la santé et le cancer sont un business. Mais, selon moi, ce n’est pas un marché comme un autre parce que peu ou prou, en France, c’est la Sécurité sociale qui paye. Ce n’est pas un marché dans les règles habituelles du marché, puisque c’est un marché avec de l’argent public. Et, vu les prix proposés pour les médicaments innovants contre le cancer, la France ne pourra plus continuer, comme c’est le cas depuis 1945 avec la création de la Sécurité sociale par le Conseil national de la résistance, à donner à chaque malade le traitement dont il a besoin ! Nous n’y arriverons pas et il faut absolument trouver une solution. Ce n’est pas une guerre contre l’industrie pharmaceutique, car le corps médical a besoin de cette industrie. Mais ce que je dis dans mon article [à lire ci-dessous, NdlR], c’est qu’il est impossible de poursuivre ce système sans que tout le monde se casse la figure : les industriels, qui n’arriveront pas à vendre leurs médicaments ; nous, parce que nous ne pourrons pas les acheter ; et les malades, qui se retrouvent au milieu. Ma carrière est plutôt derrière moi et il ne m’est jamais arrivé de ne pas donner un médicament à un malade pour des questions d’argent. J’ai passé ma vie de médecin cancérologue à soigner dans l’innovation et ça ne m’est jamais arrivé : j’espère de tout cœur que ça n’arrivera pas à mes élèves. (...)

Quand il s’agit de discuter le prix d’un médicament et que les industriels considèrent qu’il est trop bas, ils peuvent brandir la menace de supprimer des emplois dans le pays. Un autre point me semble assez basique et pourtant, de toute ma carrière, je n’ai jamais réussi à voir un progrès. Je prends l’exemple de médicaments pour traiter le mélanome, qui, heureusement si j’ose dire, n’est pas très fréquent et représente environ 10.000 cas par an en France. Certains de ces mêmes médicaments vont devenir ceux pour traiter le cancer du poumon : le plus fréquent chez l’homme et bientôt chez la femme. Les prix devraient baisser puisque le marché augmente. Or, ce n’est pas le cas ! (...)

La licence d’office, c’est le 49-3. Donc, selon moi, c’est une bonne menace, mais ça n’est jamais la bonne méthode. Comme le 49-3, la licence d’office est un élément de négociation qui doit permettre un accord, mais, si ce n’est pas le cas, chacun prend ses responsabilités. Pour certains médicaments, en particulier pour le cancer du poumon, qui est si fréquent, si nous n’arrivons pas à avoir un prix décent, il faudra bien mettre le 49-3. La licence d’office concernerait des médicaments spécifiques, car personne d’intelligent ne peut dire que nous sommes en guerre contre l’industrie. S’il n’y a pas d’industrie, il n’y aura pas de nouveaux médicaments, pas d’innovation et pas de progrès. Même dans les plus grands centres de recherche comme l’institut Curie, une fois que nous avons une start-up et que nous avons fait la preuve d’un concept, nous ne sommes pas capables de développer un médicament : c’est un métier. Si nous ne pouvons pas nous passer de l’industrie, il est nécessaire d’avoir plus de transparence. C’est pour cela que je cite le travail du Sénat américain, qui a montré que le prix de l’industrie pour traiter une hépatite C par le Solvadi était délirant par rapport aux réalités de la recherche et au prix de fabrication. Lorsque les prix sont délirants, il y a un moment où il faut dire que l’on se fâche. (...)