
« Ici, ce sont les hommes qui se battent contre d’autres hommes. Et à la fin, ce sont les femmes qui souffrent ». Ainsi parle une femme, à la lueur du feu de bois dans un village de République Centrafriquaine, face à la jeune photo-reporter Camille Lepage (Nina Meurisse) au talent certain, éprise d’idéal, cherchant à percer dans une profession précarisée. Le film de Boris Lojkine raconte l’histoire de cette journaliste tuée en mai 2014 durant les prémices d’une guerre civile qu’elle couvrait avec envie, détermination et peut-être aussi une petite dose d’inconscience due à la passion pour cette terre et les gens qui la peuplent.
On sait gré à Boris Lojkine d’avoir accouché d’un film rigoureux comme un documentaire, et pudique sur la forme tout en montrant la réalité mêlé à la fiction. Alors que Camille fait son « baptême » du feu en compagnie de photographes plus aguerris, vieux de la vieille des reportages de guerre, autour d’un homme lynché par des rebelles, la terreur se lit dans son regard, son doigt tremble sur le déclencheur. Mais jamais on verra précisément les images qu’elle capture. Mieux : Boris Lojkine a plutôt choisi de montrer, à intervalle régulier, les propres photos de la vraie Camille Lepage, où on constate l’étendue du talent fauché en plein vol d’une jeunesse pleine et entière, jetée de toute ses forces sur cette terre africaine pour faire connaître au monde entier ce qu’il s’y passe. (...)
Camille nous montre également les débats actuels et sempiternels qui agitent le milieu des reporters de zones de conflits : partagée entre la nécessité d’assurer malgré tout sa sécurité – en sacrifiant au passage le temps qu’elle souhaiterait passer auprès des populations – et son désir d’être reconnue et incontournable sur le terrain qu’elle a choisi (voir à ce propos la scène où elle refuse de céder aux sirènes de l’actualité dans la rédaction de Libé qui lui propose de se rendre plutôt en Ukraine, car « c’est là-bas que ça se passe »), Camille Lepage/Nina Meurisse possède ce douloureux élan de désespoir qui lui fait prendre, malgré tout, des risques.
Boris Lojkine arrête son récit avant l’irréparable, dont on connaît pourtant l’issue depuis la première scène – tendue comme un arc – entre une patrouille de l’armée française et un pick-up chargé de cinq cadavres sur la plateforme arrière, dont dépasse deux pieds blancs aux ongles peints de rouge… (...)