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COLOMBIE : Accord de Libre Échange, Dette, et Solutions Temporaires à la Crise Agraire La rue et les peuples ont le dernier mot !
Article mis en ligne le 6 septembre 2013

Les manifestations et actions de protestation des agriculteurs en Colombie sont sur le point d’atteindre les deux semaines. Dans un pays historiquement caractérisé par l’abandon et le manque de soutien au développement des zones rurales, les paysans ont décidé le 19 août 2013 de sortir et de protester sur les routes de toute la Colombie. Les manifestations ont rassemblé un groupement de divers secteurs et régions du pays, des producteurs de pommes de terre à Boyacá, en passant par les producteurs laitiers à Nariño, jusqu’aux producteurs de riz et de tomates à Huila

Même si les problèmes de chacun de ces secteurs ont des caractéristiques spécifiques, il existe une série de points communs entre eux. Parmi ceux-ci se trouvent la difficulté de concurrencer les produits importés à bas prix qui entrent dans le pays grâce à l’Accord de libre-échange (ALE) signé avec les Etats-Unis, l’appréciation du taux de change, les coûts élevés des intrants et des engrais, ainsi que le manque de soutien du gouvernement au secteur agraire sous forme de formation technique, de crédits et de subventions. Pris ensemble ces éléments montrent qu’au-delà d’un problème conjoncturel, la problématique de la campagne colombienne est de nature structurelle. En ce sens, les protestations répondent à la maturation d’un conflit social et économique de longue date.

Face à cette situation le gouvernement a adopté un discours dissocié de la réalité. Dans un premier temps, une semaine après le début de la grève, le Président Santos a nié l’existence même de celle-ci. C’est seulement devant la recrudescence de barrages routiers et de dénonciations d’abus de la force de la part de la Police Nationale que le Président a retiré ses affirmations. Ainsi, en l’espace de trois jours, nous sommes passés d’une situation où le discours officiel du gouvernement niait l’existence de problèmes, à une situation où il reconnaissait une crise généralisée du secteur agricole. (...)

Entre 2012 et 2013, la première année d’entrée en vigueur de l’ALE, les importations de produits agricoles en provenance des États-Unis ont augmenté de 70% |1|.

Pour réduire l’entrée d’importations, le gouvernement a proposé l’usage de mesures de sauvegarde. Dans les régulations de l’ALE celles-ci permettent d’augmenter temporairement les droits de douane lors de situations exceptionnelles comme celles qu’est en train de vivre le pays actuellement. Cependant, elles ne peuvent être utilisées qu’entre 1 et 3 ans, avec renouvellement nécessaire la deuxième année. Au-delà de la troisième année, l’utilisation de ce type de mécanismes est interdit par l’accord |2|. Cela signifie que de futurs gouvernements ayant un intérêt dans la protection de la production nationale au moyen de changements dans la politique douanière du pays se verront contrecarrés par les restrictions imposées par l’ALE. Dans un tel cas, les producteurs nationaux mais aussi la souveraineté alimentaire du pays se trouveront de nouveau vulnérables face aux importations d’aliments. (...)

Le coût des intrants et des engrais est un cas semblable à ce qui se passe avec les sauvegardes et les contrôles de capitaux. Le problème clé dans ce domaine est la concentration dans la structure de marché. La raison pour laquelle, en Colombie, les prix des fertilisants peuvent atteindre 25 à 35% de plus que les prix internationaux est liée au fait que seules quatre sociétés contrôlent entre 80 et 90% du marché dans le pays |3|. La baisse des tarifs douaniers, dû aux restrictions phytosanitaires et de qualité de l’ALE, maintiendront cette structure et ne feront que changer les fournisseurs. (...)
Enfin, en ce qui concerne les subventions, elles représentent peut-être la pire alternative disponible. Compte tenu de l’absence de protection et de soutien à l’agriculture de la part du gouvernement, les subventions atténuent seulement de manière temporaire le caractère structurel de la faible productivité d’une grande partie du secteur agricole en Colombie. De manière générale les subventions ont tendance à profiter à l’agroindustrie dans le pays (laquelle dispose d’un accès facile au crédit par sa taille et de niveaux élevés de productivité), sans servir de manière stratégique à améliorer les conditions de production et de vie des petits et moyens paysans vivant de récolte à récolte.

Face à cette situation il faut une augmentation significative des ressources que le pays destine, non à subsidier sinon à investir, dans le développement des capacités et du potentiel de l’agriculture du pays, à travers la technification et la spécialisation productive de l’économie paysanne. Cependant, un regard sur le budget national révèle un état de fait assez différent. Alors que dans le budget 2013 les ressources allouées au secteur agricole étaient de 3,7 billions de pesos (1,9 milliards de dollars), en 2014 il recevra 2,1 billions de pesos (1,1 milliards de dollars). Cela représente une diminution de 43%, justement l’année où – en plus de l’ALE avec les Etats-Unis – devrait entrer en vigueur l’ALE avec l’Union Européenne. (...)

Devant l’opportunité historique de parvenir à une solution négociée au conflit armé, la Colombie ne peut pas se donner le luxe de continuer à ignorer les tensions sociales et économiques qui ont donné lieu à la période de violence qui dure déjà depuis plus de 60 ans. Apparemment, la rue et les peuples de Colombie, et en particulier leur capacité à continuer à faire pression sur le gouvernement pour des changements, ont le dernier mot à ce sujet.