
INTERVIEW
Quinze ans après l’arrivée des RTT, l’économiste Eric Heyer dresse un bilan positif de cette réforme emblématique de la période Jospin.
Quand on regarde les données macro-économiques au moment de la mise en place des 35 heures qu’observe-t-on ? D’abord, une croissance mondiale franche avec un pays, la France, qui faisait mieux en moyenne que la plupart de ses partenaires. Les lois Aubry I en 1998 et Aubry II en 2000 ne changent pas cette situation. Au contraire. Le taux de marge des entreprises ne faiblit pas et les 35 heures vont permettre de redéfinir ce qu’est le temps de travail. (...)
La grande contrepartie des 35 heures, c’était la flexibilité. L’annualisation du temps de travail a, de ce point de vue, représenté un progrès énorme pour les entreprises. Il a permis de réorganiser l’activité, ce qui a généré de très importants gains de productivité. Certains n’hésitent pas à présenter les 35 heures comme un diktat imposé autoritairement d’en haut. Mais en réalité, cette redéfinition de ce qu’est le temps de travail a été l’occasion d’une remise à plat très féconde. Il n’y a jamais eu autant de dialogue social et d’accords d’entreprise qu’à cette époque. Avec le recul, on sait néanmoins que si les grandes entreprises en ont largement profité et que les cadres ont été les grands gagnants des 35 heures, cela a été plus difficile pour les plus petites. (...)
Certains estiment que la France a agi à contre-courant et que les 35 heures ont été à l’origine du décrochage de la compétitivité française…
Le choc, à partir de 2003, c’est en effet la stratégie allemande de désinflation compétitive avec la baisse des salaires et la mise en place progressive de nouvelles règles sur le marché du travail. Mais à l’époque, l’Italie et l’Espagne où il n’y a pas de 35 heures perdent beaucoup plus de parts de marché que la France vis-à-vis de l’Allemagne. C’est vrai, la France n’a pas suivi la stratégie allemande de Gerhard Schröder. Mais c’est justement pour cela qu’elle a fonctionné ! Si tout le monde avait suivi l’Allemagne à l’époque, l’Europe entière se serait retrouvée en récession. Le modèle allemand a marché sur le long terme parce qu’il était unique. Mais cela a été très douloureux. En 2003, 2004 et 2005, le pays connaît encore une croissance zéro. Ce n’est pas le cas de la France. (...)
Il faut une durée légale du travail à partir de laquelle s’enclenchent les heures supplémentaires et les Allemands sont d’ailleurs en train de s’inspirer de la France sur ce point. Cela me paraît donc une bonne chose que les 35 heures restent la norme. Quant aux accords de branche ou au sein d’entreprises, pourquoi pas, à partir du moment où les partenaires sociaux s’entendent sur une règle commune. Mais dans la situation actuelle, avec un chômage très élevé, comment peut-on imaginer que cette discussion procède d’un rapport de force équilibré ?