
À Bruxelles, ce dimanche 24 janvier, à la suite d’une manifestation sans incident, tolérée par les autorités, qui a réuni 150 personnes au Mont des Arts contre « la justice de classe et la justice raciste », la police a procédé à des arrestations massives et abusives. Par Patricia Van Der Smissen, avocate et Catherine Mailleux, psychanalyste et mère d’une jeune arrêtée.
Un dispositif policier démesuré avait été mis en place : plusieurs escadrons, la cavalerie et des autopompes, un hélicoptère. Alors qu’il n’y avait pas de trouble à l’ordre public, la police a arrêté, selon nos informations, près de 250 personnes, dont 86 mineurs, de toutes origines. Des jeunes et moins jeunes ont été refoulés jusqu’à la gare centrale pour se retrouver encerclés et arrêtés. Les images montrent des jeunes assis par terre, attachés. Des passants se sont vus encerclés, appréhendés et menottés mains dans le dos avec des colsons. Ils ont été emmenés en camionnette à la caserne d’Etterbeek et enfermés dans des cellules bondées, sans aucun respect des règles sanitaires.
Ce que les personnes arrêtées disent avoir vu et vécu est très grave. Elles ont été privées de liberté pendant plusieurs heures sans la moindre justification. Beaucoup d’entre elles ont subi des violences verbales, des humiliations, des insultes des discours de haine, des discriminations racistes, sexistes et homophobes et certaines des violences physiques.
Nous voulons et nous nous devons de réagir.
Des arrestations administratives ne peuvent se produire en l’absence de toute infraction, sans nécessité absolue. Il s’agit donc d’arrestations illégales et arbitraires au sens de l’article 147 du code pénal. Elles portent atteinte à la liberté d’expression, de réunion, à la liberté de se mouvoir et se retrouver ensemble dans l’espace public. Les conditions de détention ont été violées.
L’article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen rappelle que la police est au service des citoyens[1]. Or, alors que de nombreux policiers font très bien leur travail, dans le respect de l’intérêt général, que leur fonction est absolument essentielle, ces faits inadmissibles contribuent à jeter le discrédit sur l’ensemble de la police. Ils s’inscrivent dans un contexte d’augmentation spectaculaire d’actes de violences policières. Il est plus que temps de mettre fin à l’impunité en cette matière. (...)
L’enjeu est de « diagonaliser le présent » pour montrer combien la question de la violence et ses excès est profondément enfouie dans les rouages du fonctionnement de l’Etat et « fait société » lorsque celle-ci se délite de toutes parts (...)
Nos enfants « blancs » n’avaient en principe pas de crainte lorsqu’ils apercevaient des policiers, sinon lors des manifestations. C’est ce qu’on appelle le privilège de la « blanchité » : ne pas se poser chaque jour ce type de question avant de quitter son domicile. Nous ne pouvons tolérer que des personnes dites racisées aient peur pour leur sécurité ou pour leur vie en sortant dans la rue. Il n’est pas question de relativiser le désarroi, la souffrance de ces jeunes ni de laisser passer la maltraitance qui vient de leur être infligée. Il faut nommer et réformer en profondeur le racisme structurel au sein de la police.
Les autorités -locales ou fédérales- qui ont ordonné ces arrestations massives et les actes de violence perpétrés par des policiers portent gravement atteinte aux fondements de la démocratie en cette période déjà si anxiogène pour beaucoup de monde, en particulier pour les adolescents et jeunes adultes.
Nous sommes très inquiètes de l’atteinte aux libertés et de la dérive vers un Etat autoritaire. Tel n’est pas le monde que nous souhaitons, ni pour nous ni pour nos enfants qui ont été éduqués dans des valeurs démocratiques relayées par l’école et toutes les institutions éducatives du pays. Ne se trouvent-elles pas, elles aussi, aussi discréditées par ces faits de violence policière ?
Nous nous alarmons de l’impact en terme de santé mentale que cette crise fait déjà subir aux jeunes depuis près d’un an. La répression brutale et insensée qui vient de s’abattre sur nombre d’entre eux est dramatique. Elle contribue à accentuer la dépression, l’anxiété, le repli sur soi, le découragement. S’y ajoutent la peur de la police et le discrédit de l’autorité, la perte de toute légitimité qu’elle représente en s’autorisant à passer au-dessus des lois qu’elle est censée faire respecter. C’est une perte de repère pour les jeunes qui, tels des funambules, traversent cette période insolite et ont du mal à se projeter dans un futur aussi incertain.
Plusieurs jeunes et leurs parents ont dès lors décidé de saisir la justice et veulent que leur action porte ses fruits. (...)
Des plaintes au Comité P sont et seront déposées, des plaintes pénales et des actions civiles seront introduites conjointement par leurs conseils auprès des autorités judiciaires.
Nous demandons également que des démarches réparatrices soient mises en place et qu’un soutien psychologique soit offert aux jeunes par la Ville de Bruxelles. (...)