Au Brésil, l’oligarchie est parvenue à destituer la présidente en exercice, Dilma Rousseff, par un coup d’État institutionnel et placer son vice-président, le très réactionnaire Michel Temer, au pouvoir sans passer par les urnes. Devenu le président par intérim le plus impopulaire de l’histoire du Brésil, le temps est alors venu d’oublier ces désagréments et faire parler les urnes… pour légitimer l’illégitime : l’ascension progressive depuis 2015 d’un régime autoritaire accompagné d’une résurgence du rôle politique des militaires suite à un coup d’État parlementaire.
Pour bien comprendre le contexte dans lequel se déroule l’élection d’octobre 2018 qui porte le candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro, à la présidence de la République pour le Parti social-libéral (PSL), un retour en arrière s’impose.
Procédure de destitution illégitime et coup d’État parlementaire
Une procédure de destitution (« impeachment ») [1] controversée, portée par le président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha (Parti du mouvement démocratique brésilien, Partido do Movimento Democrático Brasileiro – PMDB, centre) est déclenchée le 2 décembre 2015 à l’encontre de la présidente en exercice Dilma Rousseff (Parti des travailleurs, Partido dos Trabalhadores – PT, centre-gauche), démocratiquement élue en 2010 et réélue en 2014 avec 51,64 % des voix au second tour du scrutin. Cette procédure de destitution intervient quelques heures seulement après que les parlementaires du PT aient voté pour la poursuite de l´enquête sur Eduardo Cunha au Conseil d´éthique de la chambre des députés. L’architecte de la destitution de Dilma Rousseff, évangélique, ultraconservateur et adversaire acharné de l’avortement, est alors soupçonné pour son rôle dans l’affaire Petrobras et des comptes secrets en Suisse, alimentés par des pots-de-vin, où il aurait dissimulé plus de 5 millions de dollars, dont lui et sa seconde épouse Claudia Cruz se sont révélés être les bénéficiaires. La Cour suprême finira par le suspendre de ses fonctions et, le 12 septembre 2016, une majorité écrasante des parlementaires le déclarera inéligible jusqu’en janvier 2027.
Malgré cela, la procédure contre Dilma Rousseff se poursuit, et le 17 avril 2016, suite à une session marathon de près de 43 heures dans un climat de haine, les députés se prononcent sur la destitution de la présidente. Jair Bolsonaro entame alors un court discours [2] dans lequel il remercie chaleureusement Eduardo Cunha « pour la façon dont il a mené les travaux [menant à la destitution] » et rend hommage à l’un des pires responsables de la répression politique sous la dictature (...)
lus des deux tiers des députés se prononcent pour la destitution, ouvrant la voie à la poursuite de la procédure. Finalement, au terme d’un vote au Sénat le 31 août 2016, Dilma Rousseff est officiellement destituée. Les politiques corrompus, une justice réactionnaire, le grand patronat brésilien et les médias des hautes familles de l’oligarchie, ont réussit la prouesse d’installer Michel Temer (PMDB) au pouvoir sans passer par les urnes. Précision de taille, la destitution de Dilma Rousseff ne s’est pas faite pour corruption mais sous prétexte d’irrégularités comptables 4, les fameux « coups de pédale fiscaux » (pedalada fiscal), un délit fréquemment mis en pratique par les prédécesseurs de Mme Rousseff et par de nombreux gouverneurs d’État, et dont la gravité n’est pas assez élevée pour justifier une destitution présidentielle. Dilma Rousseff n’est alors impliquée dans aucun scandale de corruption.
A contrario, les parlementaires putschistes (députés et sénateurs), à commencer par les membres du PMDB de Temer, sont eux, massivement empêtrés dans les affaires de corruption. (...)
Et Michel Temer, parachuté au sommet de l’État au terme de l’opération de destitution ? Un personnage mafieux qui croule sous les accusations de malversations, souvent étayées par des enregistrements accablants [5], qui fait l’objet de deux enquêtes du parquet pour corruption et association de malfaiteurs. En dépit de cette situation incompatible avec son poste, il bénéficie d’une immunité jusqu’à la fin de son mandat, courant jusqu’au 1er janvier 2019, et ne peut être condamné. Et pour s’en assurer il ordonne le versement de pots-de-vin au président du Parlement qui avait lancé la procédure de destitution, Eduardo Cunha, pour acheter son silence [6]. (...)