
Jamais les êtres humains ne surent prévenir les catastrophes qui les menaçaient. C’est seulement après les avoir subies qu’ils se décident en général à agir. Dans cette interview accordée à Paris-Normandie, le neuro-psychiatre Boris Cyrulnik a bien raison d’être optimiste : des tas de catastrophes s’apprêtent à nous tomber dessus.
Vous avez familiarisé les Français avec le concept de résilience, c’est-à-dire la capacité à renaître après un traumatisme. Pensez-vous que la France post-attentats est en voie de résilience ?
Boris Cyrulnik - La résilience à l’échelle d’un pays, ça existe. Enfin, ça peut exister en cas d’apaisement… Mais pour l’instant, la France est toujours dans le traumatisme, dans l’affrontement, dans le temps présent. Je pense que nous avons les ressources nécessaires pour une résilience collective. Au fond, c’est assez facile lorsqu’il n’y a qu’un seul trauma. Ça, c’est le schéma classique. Mais lorsqu’on vit une cascade de traumatismes, la résilience devient improbable, voire impossible…
Vous pensez à de nouveaux attentats ?
Pas seulement. Aujourd’hui, nous connaissons aussi une immigration liée à la guerre et à la pauvreté. Et très bientôt, nous allons connaître l’immigration liée au changement climatique, à la sécheresse. Ça a déjà commencé au Darfour… Ce n’est probablement que le début d’un phénomène que nous aurons le plus grand mal à maîtriser. Lorsque la soif poussera des gens à partir, qu’allons-nous faire, comment allons-nous réagir ?
Vous, dont les parents sont morts en déportation, vous vous alarmez du retour d’un « langage totalitaire ». Où se loge-t-il ce langage totalitaire ? Seulement chez les djihadistes ou, dans une certaine mesure, également dans notre réponse ?
Le langage totalitaire, c’est celui de l’inquisition, du colonialisme, du nazisme, du communisme… Et on le voit réapparaître aujourd’hui dans le djihadisme. Pour les totalitaires, il n’y a qu’une seule vérité et ceux qui en doutent méritent le rejet, l’emprisonnement, la rééducation voire la mise à mort. Et ceux qui pratiquent cette pensée extrême finissent même par s’entre-tuer, comme on le voit déjà. Aujourd’hui, on ne retrouve pas cette façon de penser en France, me semble-t-il. Sauf du côté de l’extrême-droite. Et chez Donald Trump aux États-Unis…
La crise migratoire, que vous évoquiez à l’instant, est visiblement source d’anxiété pour la société française…
Oui, elle nourrit un besoin de certitudes, qui se traduit par des solutions simplistes, oui. Vous savez, il existe plusieurs formes d’« accueil pathologique » des migrants. Dans les camps, on voit réapparaître en quelques jours les processus de socialisation archaïques, c’est-à-dire la loi du plus fort. (...)
Pessimiste, alors ?
Non, je suis optimiste, parce que je crois que nous courons à la catastrophe. Et la catastrophe, c’est un mode d’évolution normal, que ce soit pour les plantes, les animaux, ou les populations. La région qui va aujourd’hui de Boston à Montréal a connu par cinq fois une montée des eaux, qui a fait disparaître à chaque fois toute la faune et la flore. Et puis les eaux se retirent et on voit apparaître une autre faune et une autre flore. Nous faisons partie du monde vivant et nous courons donc à la catastrophe. Et peut-être qu’après nous, une nouvelle forme de vie apparaîtra…
Y a-t-il une chance que nous ayons tout de même une place dans le monde à venir ?
La catastrophe implique qu’un filet de vie continue à couler. Sinon, ce n’est plus une catastrophe, c’est un désastre [sourire].