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Basta !
Bernard Stiegler : « Le marketing détruit tous les outils du savoir »
Article mis en ligne le 23 mars 2012
dernière modification le 21 mars 2012

Vous êtes fatigués des petites phrases, des analyses politiques et médiatiques incapables de se projeter au-delà du prochain sondage ? Basta !, en partenariat avec Soldes, la revue « pop et intello », vous propose une interview fleuve du philosophe Bernard Stiegler. Disciple de Derrida, il dirige l’Institut de recherche et d’innovation et a cofondé l’association Ars Industrialis.

Face à la domination du marketing et à l’hégémonie du capitalisme financier, qui font régresser nos sociétés, il est urgent, pour Stiegler, de changer de modèle : passer d’une société de consommation à une économie de la contribution, qui aurait pour pilier la révolution numérique. (...)

J’ai la conviction profonde que ce qu’on appelle humain, c’est la vie technicisée. La forme de vie qui passe par la technique, qu’elle soit du silex taillé ou du silicium, organisée comme aujourd’hui par un microprocesseur ou par autre chose. Dans tous les cas, nous avons affaire à de la forme technique. L’individuation psychique, c’est-à-dire la manière de devenir ce que je suis, l’individuation collective, la manière dont se transforme la société dans laquelle je vis, et l’individuation technique, la manière dont les objets techniques se transforment, sont inséparables. (...)

Aujourd’hui, 180 millions de Chinois sont dépressifs et partout ailleurs les gens sont dépressifs. C’est grave, plus personne n’est pilote, l’avion vole de lui-même. Nous ne sommes pas encore dans l’apocalypse, nous sommes dans un « ton apocalyptique » qui est perçu par tout le monde. Dans les rues à Paris, au bistro en face, là, vous discutez avec les gens, il y en a de toutes les nationalités et ils sont tous d’accord sur une chose, c’est que ça va mal et que personne ne voit comment sortir de là. L’organisation de la destruction de tout cela, c’est le marketing. C’est le fer de lance programmé depuis 1979 par les économistes libéraux de l’école de Chicago. (...)

Le but est de prendre le pouvoir sur le psychisme de l’individu afin de l’amener à un comportement pulsionnel. Cette captation est évidemment destructrice. On canalise le désir vers des moyens industriels et pour ce faire, on est obligé de court-circuiter l’énergie libidinale et tout son dispositif, parce que l’énergie libidinale est produite dans un deuxième rang, ce n’est pas une énergie primaire, les énergies primaires ce sont les pulsions. C’est ce qui nous rapproche des animaux. Nous sommes tous habités par des pulsions et nous pouvons nous comporter comme des bêtes. Nous sommes témoins d’une régression des masses, qui n’est plus une régression des masses politiques mais une régression des masses de consommateurs. Le marketing est une des grandes causes de désaffection du public pour le progrès. Le marketing est responsable de la destruction progressive de tous les appareils de transformation de la pulsion en libido. (...)

Il faut profiter de cette prise de conscience pour renverser le processus, pour transformer la panique en nouvel investissement. La nouvelle lutte a commencé dans le nord de l’Afrique. Apprenons à faire de la thérapeutique. Il s’agit de reconstruire progressivement les savoirs et les saveurs. C’est le travail de l’artiste, c’est de la création et de la technique. (...)

L’économie contributive existe déjà, elle est déjà extrêmement prospère et elle s’imposera parce qu’elle seule est rationnelle. Une politique industrielle contributive est en train de rompre avec le modèle consumériste. Elle s’est développée dans le domaine du logiciel, qui est aujourd’hui tiré par le modèle contributif. (...)

Le problème n’est pas de passer du pétrole au nucléaire, ou du nucléaire aux énergies renouvelables. La question fondamentale, c’est de créer des réseaux, des Smart greens contributifs. (...)

Kant, c’est la critique de la conscience. Je veux que l’on fasse une critique de l’inconscient. Je veux aussi laisser s’exprimer une critique qui vient de l’inconscient. Et ça c’est le problème de 68. N’avoir pas su penser une critique de l’inconscient. Le faire est urgent. Freud disait de lui-même qu’il était un grand rationaliste. Repensons la critique des Lumières à partir de la question de l’inconscient. Les seuls qui l’ont fait ce sont les capitalistes, les gens du marketing, qui sont de plus en plus aguerris sur ces questions. Ils en ont tiré un maximum, en ont fait de véritables instruments de domination.
(...)

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