
Les règles sont un sujet encore tabou qui a peu de place dans les livres d’histoire. Pourtant, elles disent beaucoup d’une vie de femme à une période donnée. Elles sont souvent vues comme un « problème médical à surmonter plutôt qu’un événement naturel et une partie de la vie », explique l’historienne. Quand les règles sont abordées dans l’histoire médicale, elles le sont sous l’angle reproductif : les stérilisations forcées, les effets du stress sur le système reproductif, l’aménorrhée (l’absence de règles) dû au choc de l’incarcération.
Comme le souligne Jo-Ann Owusu, « après la déportation dans les camps, à cause de la malnutrition et du choc, un nombre important de femmes victimes de l’Holocauste n’eurent plus leurs règles ». Beaucoup prirent peur : resteraient-elles infertiles à la sortie des camps ? Pouvaient-elles envisager un futur -hors des camps- avec enfants ? Jo-Ann Owusu cite le témoignage de la Française Charlotte Delbo, survivante d’Auschwitz :
« C’est très frustrant de ne pas passer par ces périodes de règles… On commence à se sentir plus vieille. Timidement, la grande Irène avait demandé : "Et si elles ne reviennent jamais ?" En entendant ces mots, un frisson d’horreur nous parcourut toutes. Les catholiques firent un signe de croix, d’autres récitèrent la Chema, tout le monde tenta d’exorciser cette malédiction à laquelle les Allemands nous avaient condamnées : l’infertilité. Comment dormir après cela ? »
En plus de cela, Jo-Ann Owusu évoque le sentiment de perte d’identité féminine : entre la perte de poids, la tonte de leur cheveux et l’absence de règles, par quoi se sentir encore femme ? Beaucoup souffrait également de cette « errance identitaire ».
Morceaux de chiffons
Pour celles qui conservaient leurs règles, il fallait également affronter les conditions d’hygiène atroces des camps. Cacher ses règles était rendu complexe par la réalité des camps. Comment faire sans chiffons et sans se laver ? Jo-Ann Owusu évoque alors le témoignage de Trude Levi, une infirmière juive hongroise de 20 ans : « Nous n’avions pas d’eau pour nous laver, nous n’avions pas de sous-vêtements. Nous ne pouvions aller nulle part. Tout se collait à nous, et pour moi, c’était l’une des choses les plus déshumanisantes que j’ai vécue. » (...)
Jo-Ann Owusu revient sur le témoignage d’une femme, Elizabeth Feldman dont la sœur avait toujours ses règles dans les camps. Pour éviter certaines opérations médicales, elle montrait les sous-vêtements tachés de sa soeur au médecin qui refusait alors de l’opérer.
Jo-Ann Owusu raconte aussi l’histoire de deux jeunes femmes différentes qui purent échapper à un viol « grâce à » leurs règles, les soldats allemands, manifestement écœurés par la vue du sang menstruel.
Parfois, les règles provoquaient également des élans de solidarité et de sororité entre les femmes. (...)