
La grande déprime…
Oui, c’est vrai, comment ne pas le constater, nos modes de vie engendrent de la frustration, du mal-être, des peurs et des haines,
Comment nier que notre système économique, pivot de notre modèle de société, est exigeant, oppressant, voire tyrannique, que ce soit pour celles et ceux qui ont un emploi, un de ces « bullshit job » ou encore celles et ceux condamnés à la précarité ou au chômage ? Les premiers doivent faire face à une remise en cause permanente d’eux-mêmes, à une pression toujours constante pour améliorer leur productivité et pour mériter leur place. Ils doivent également subir toujours plus de stress, et sont toujours plus confrontés à des questions éthiques sur leur rôle dans cette société. Les seconds font face à une misère grandissante, à toujours plus d’humiliations, à un sentiment de rejet.
Nos sociétés nous mettent en concurrence en utilisant la peur du chômage. La religion des indicateurs et l’économicisme rendent nos vies et activités toujours plus absurdes. De même, en nous opposant, on renforce la peur du déclassement, toujours plus prégnante, accompagnée d’un sentiment d’abandon, de ne pas être entendu, d’être lésé par un système injuste. Nos vies, trop chargées, ne laissent que peu de temps pour souffler. La pression imposée par notre monde moderne est insupportable, à telle point que nous nous croyons dans des situations moins confortables qu’il y a 40 ans… ou que chez le « voisin », « l’autre », qui serait, lui, « protégé », « assisté »… C’était mieux avant… Et c’est mieux ailleurs…
Alors, oui, il est légitime d’exprimer ces frustrations, ces peurs. Il est sain de se révolter contre ces injustices.
… Mais aussi construite, entretenue
Ces constats se retrouvent dans plusieurs études convergentes et mettent en avant un mal-être, des souffrances objectives. Mais il ne faut surtout pas négliger leur dimension subjective !
En effet, ce malaise est partiellement construit et renforcé par la société du spectacle, les médias et la publicité avec l’imaginaire qu’ils développent. Nous sommes dominés, individuellement et collectivement, culturellement et socialement, par le « toujours plus » qui génère de multiples insatisfactions. La rivalité ostentatoire, même inconsciente, est renforcée par des inégalités endémiques, en permanence exacerbée. Et ce, non sans manipulation (...)
Rien qu’en France, une très grande majorité de nos concitoyens vivent mieux qu’il y a 50 ans. Dissonance cognitive ? Nous sommes ancrés dans une société structurellement frustrante en étant condamnés à désirer toujours plus, à suivre le mode de vie des plus aisés alors que celui-ci n’est ni soutenable, ni généralisable et peut être pas si souhaitable. C’est inhérent à nos modes de vie, que personne ne souhaite ou ne semble prêt à négocier.
Ainsi les vraies questions sont éludées, les frustrations et les craintes méprisées par l’oligarchie et ses chiens de garde, véritables bénéficiaires de cet état de fait, qui expliquent qu’il faut faire toujours plus de sacrifices, qu’il faut être responsable et réaliste, qu’il y a la dette, la concurrence étrangère, etc.
« Ca va faire le jeu du FN »
Ainsi, depuis plusieurs décennies, un débat radical autour de notre modèle de société est balayé car jugé passéiste, démagogique, irréaliste voire dangereux. Alors plutôt que de questionner le fond, c’est-à-dire le consumérisme, le productivisme et le néo-libéralisme, la pensée unique et dominante nous impose une fuite en avant des plus inquiétantes. On stigmatise et on ignore ces malaises pour mieux les caricaturer… Ces sujets sont pourtant cruciaux, ne serait-ce parce qu’ils occupent l’esprit d’une part importante de nos concitoyens.
Ainsi, de manière consciente ou non, le système a fait le jeu des extrêmes, en particulier à la droite extrême, avec le Front National. Et c’est d’autant plus confortable pour ce système que cela permet d’éluder d’autant plus les débats de fond en les cachant derrière cet épouvantail : pas de débat car « ça va faire le jeu du FN » !
Comme si ça ne suffisait pas pour faire vraiment le jeu du FN, on diabolise ses supporters, on leur donne des leçons de manière arrogante, ce qui renforce sa légitimité. Enfin, « Ca va faire le jeu du FN » laisse à penser que le FN aurait des solutions à ces problèmes éludés, réels ou construits… Le FN est ainsi gagnant sur toute la ligne.
Une imposture insupportable
Cette « légitimisation » est d’autant plus insupportable qu’elle est une imposture : le FN, mouvement démagogique et manipulateur, s’empare avec opportunisme de certain de ces sujets de société méprisés par la pensée unique, qui méritent pourtant d’être débattus. Ainsi, la boucle est bouclée, le système a besoin du FN qui lui-même a besoin du système. (...)